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Page:Revue de l'Orient Chrétien, vol. 12, 1907.djvu/433

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sait son sérieux, voulut l’avoir pour femme, mais il n’osait le lui dire, de crainte qu’elle n’acceptât pas. Elle, qui était intelligente, le comprit et lui dit : Seigneur Siméon, — car c’était son nom, — je vois que tu as des préoccupations ; dis-moi ce que tu as et je te répondrai. Il n’osait d’abord pas le lui dire, mais enfin il l’avoua et la supplia de vouloir bien être sa femme. Elle lui dit : Si tu fais ce que je vais t’ordonner, j’y consens. Il répondit : Quoi que tu m’ordonnes, je le ferai. Elle lui dit : Va donc dans ta boutique et jeûne jusqu’à ce que je t’appelle ; moi-même, en vérité, je ne goûterai rien avant de t’appeler. Il accepta et elle ne lui fixa pas le moment auquel elle l’appellerait ; il pensait qu’elle l’appellerait le jour même. Un, deux et trois jours se passèrent sans qu’elle l’appelât ; il persévéra cependant, soit à cause de son désir pour elle, soit parce que Dieu dirigeait tout et lui donnait patience parce qu’il savait où il devait l’appeler — il devint plus tard un vase d’élection. — Le quatrième jour, elle le fit appeler. Il était défaillant et, ne pouvant se soutenir à cause de sa faiblesse, il se fit porter. Celle-ci de son côté avait fait préparer une table et tendre un lit ; elle lui dit : Voilà une table et un lit, où veux-tu que nous allions ? Il répondit : Je t’en prie, aie pitié de moi, donne-moi un peu à manger parce que je tombe en défaillance, je ne songe plus aux femmes à cause de ma faiblesse. Elle lui dit : Ainsi, lorsque tu as faim, tu places la nourriture au-dessus de moi, de toute femme et du plaisir ; lors donc que tu auras de telles pensées, use de ce remède et tu seras délivré de toute pensée inconvenante. Crois-moi, après mon mari, je n’aurai commerce ni avec toi ni avec aucun autre, mais, avec l’aide du Christ, je compte rester veuve. Il fut saisi de componction et, plein d’admiration pour son esprit et sa chasteté, il lui dit : Puisque le Seigneur a bien voulu me sauver par ta sagesse, que me conseilles-tu de faire ? Elle qui se défiait de la jeunesse et de la beauté, et qui redoutait d’endurer elle-même à certain moment les mêmes tentations, lui dit : Je pense, par Dieu ! que tu n’aimes que moi ? Il répondit : C’est vrai. Elle lui dit : Et moi en vérité je t’aime devant Dieu, mais puisque c’est la voix du Maître qui a dit : Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et même sa vie, il ne peut pas être mon disciple[1], éloignons-nous, pour Dieu, l’un de l’autre, afin que le Seigneur te tienne compte de t’être séparé, pour (l’amour de) Dieu, de ta femme et me tienne compte de m’être séparée de mon mari. Voici donc que dans notre pays il y a un monastère de reclus à Apamée[2]. Si tu veux vraiment être exaucé, vas-y vivre dans la retraite et tu plairas en vérité à Dieu. Il abandonna aussitôt les affaires, se retira dans ce monastère et y demeura jusqu’à sa mort. Il devint de bon aloi, voyant toutes choses sous le bon point de vue avec les yeux de l’esprit. L’abbé Siméonès[3] lui-même raconta tout cela au narrateur.

  1. Luc, xiv, 26.
  2. Près d’Apamée se trouvait du moins le célèbre monastère de saint Maron, éponyme des Maronites.
  3. Siméon, dans le ms. 1596.