Page:Revue de l'Orient Chrétien, vol. 13, 1908.djvu/300

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sa chair. Il continua ainsi jusqu’au matin et brûla tous ses doigts. Mais la malheureuse, voyant ce qu’il avait fait, fut pétrifiée.

Au matin, les jeunes gens, venant près de l’anachorète, lui dirent : Une femme n’est-elle pas venue hier soir ? Il répondit : Oui, elle est couchée là dedans. Ils entrèrent et la trouvèrent morte et ils lui dirent : Père, elle est morte. Alors, découvrant ses mains, il les leur montra et dit : Voilà ce que m’a fait cette fille du diable, elle m’a fait perdre les doigts. Il leur raconta ce qui était arrivé et il dit : Il est écrit : Tu ne rendras pas le mal pour le mal. Il pria et la ressuscita ; elle partit et eut bonne conduite désormais.

190. — Un frère fut tourmenté par le démon de l’impureté[1]. Il lui arriva de traverser un village d’Égypte ; il vit la fille d’un prêtre païen, l’aima et dit à son père : Donne-la-moi pour femme. Il répondit : Je ne puis pas te la donner sans consulter mon dieu. Il alla près du démon et lui dit : Voilà qu’un moine est venu et veut ma fille, la lui donnerai-je ? Le démon répondit : Demande-lui s’il renonce à son Dieu, au baptême et à la profession monacale. Le prêtre vint dire au moine : Renonces-tu à ton Dieu, au baptême et à la profession monacale ? Il le promit et aussitôt il vit comme une colombe qui sortait de sa bouche et s’envolait au ciel. Le prêtre alla près du démon et lui dit : Voilà qu’il m’a promis ces trois choses. Et le diable lui répondit : Ne lui donne pas ta fille pour femme, car son Dieu ne l’a pas quitté mais le protège encore. Et le prêtre vint lui dire : Je ne puis pas te la donner, car ton Dieu te protège, et ne t’a pas quitté. À ces paroles le frère se dit en lui-même : Lorsque Dieu m’a montré tant de bonté, moi, misérable, je l’ai renié ainsi que le baptême et la profession monacale, et lui, (le Dieu) bon, me protège encore maintenant !

Rentré en lui-même, il sut se contenir et alla au désert près d’un grand vieillard auquel il raconta toute la chose. Le vieillard lui répondit : Reste avec moi dans cette caverne et jeûne trois semaines de suite ; je prierai Dieu pour toi. Le vieillard prit de la peine au sujet de ce frère et supplia Dieu, disant : Je t’en prie, Seigneur, donne-moi cette âme et accepte sa pénitence. Dieu l’exauça à la fin de la semaine, le vieillard vint près du frère et lui demanda : N’as-tu rien vu ? Le frère lui répondit : Si, j’ai vu la colombe en haut dans la profondeur du ciel, au-dessus de ma tête. Et le vieillard lui dit : Fais attention à toi et prie Dieu constamment. La seconde semaine, le vieillard vint près du frère et lui demanda : N’as-tu rien vu ? Il répondit : J’ai vu la colombe près de ma tête. Et le vieillard lui ordonna d’être sobre et de prier. Le vieillard vint encore à la fin de la troisième semaine et lui demanda : N’as-tu rien vu de plus ? Il répondit : J’ai vu la colombe venir et s’arrêter au-dessus de ma tête ; j’ai étendu la main pour la saisir, mais elle, s’envolant, est entrée dans ma bouche. Et le vieillard rendit grâces à Dieu, et il dit au frère : Voilà que Dieu a agréé ta pénitence ; à l’avenir prends garde à toi. Le

  1. M, 884, n° 38 ; Coislin 127, fol. 94v ; Paul, 15 ; B, p. 303 ; ms. 919, fol. 156 ; fol. 163.