Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

84 LA REVUE DE L'ART Laure, candide jeune fille, évoquée par le poète au milieu de la foule des amoureux, lui apparaît comme une amazone qui lutte contre Cupidon, et triomphe de lui en compagnie des Vertus, «  couronnée de roses et de violettes», jusqu'à ce que la Mort la fasse périr, privant le monde de sa plus belle fleur. Le poète la reverra dans le ciel, où « apparaîtront les angéliques vertus, les nobles paroles, les chastes pensées ». Comment l'art figuratif pouvait-il rendre ce poème ? Pétrarque avait eu des précurseurs : des écrivains de basse époque, comme Lactance et Prudence, le byzantin Eustathios Makrembolides, le Roman de la Rose, la Divine Comédie. Mais aux arts figuratifs il ne demanda aucune inspi- ration. Il faut faire une seule exception pour le premier chant, dans lequel il emprunta à la sculpture antique la représentation des triomphes romains de consuls ou d'empereurs, en décrivant le triomphe de Cupidon : «  Je vis un chef victorieux et souverain, tel un de ceux qu'au Capitole un char triomphal conduit avec de grands honneurs » Mais ensuite le char triomphal devient un char de feu comme celui d'Élie, comme.ceux des saints, qui s'élèvent à la vision de la Divinité, et le poète transforme ainsi l'image classique du triomphateur, pour la rendre plus moderne et mieux adaptée à la peinture. A ce spectacle, le poète « lève ses yeux alour- dis et fatigués » : il aperçoit « quatre destriers plus blancs que neige : sur un char de feu, un adolescent hautain, l'arc à la main et les flèches au côté : contre lui ne valent ni heaume, ni bouclier : aux épaules il n'a que deux grandes ailes de mille couleurs, et le reste du corps est nu ». L'antique modèle, bien que Pétrarque s'en réclame, était perdu : il ne restait qu'une citation classique, une réminiscence d'humaniste, qui ne correspond pas exactement au type nouveau du triomphateur. Dans toutes les imaginations de Pétrarque, ce sont toujours l'idée et la forme classiques qui se présentent les premières à son esprit : ou plutôt l'on peut dire que l'antiquité donne des attitudes à ses figures, des ailes à sa poésie. C'est donc en vain que l'on cite comme un modèle pour le poète, et comme une composition qui eût pu lui servir d'exemple, les fresques attribuées à Giotto dans la basilique inférieure d'Assise. Outre que ces peintures ne sont pas de Giotto,mais de ses élèves, qui exécutèrent d'autres travaux à la croisée de la basilique, ces allégories sont conçues d'après des critères bien différents de ceux de Pétrarque. Ce qu'on appelle les