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150 LA REVUE DE L'ART Monument Forteguerra, on les lui a définitivement retirés, pour lui accorder, en échange, une série de statues et de tableaux d'une insigne beauté. En un mot, Verrocchio, depuis une cinquantaine d'années, a été, si je puis dire, entièrement «  remis à neuf » : et les livres de M"e Cruttwell et de M. Reymond, venant après les travaux de Morelli, de M. Bode. et d'autres savants et intrépides redresseurs de torts, achèvent de substituer à l'image ancienne du consciencieux artisan et patron d'atelier celle d'un maître de génie, à la fois artiste et philosophe, poète et penseur, affranchis- sant l'art italien de toute servitude religieuse,pour l'employer à la réalisation parfaite d'un idéal, tout moderne, de beauté « laïque ». J'ajouterai que, par une coïncidence qui donne plus d'autorité encore à leurs affir- mations, les deux nouveaux biographes de Verrocchio s'accordent à peu près pleine- ment dans la liste des oeuvres sculptées et peintes qu'ils assignent au maître florentin. En sculpture,tous deuxlui attribuent le fameux buste de Femme aux fleurs du Bargello, et une série d'autres bustes épars dans des collections particulières ; tous deux s'ac- cordent à lui attribuer — et, je crois, très justement,—une Résurrection en terre cuite, conservée dans une cour delà vieille Villa des Médicis, à Careggi; et Mlle Cruttwell ne diffère de M, Reymond qu'en voulant reconnaîtreaussi la main de Verrocchio dans un relief en stuc du musée de South-Kensington, la Discorde, que le critique français juge très belle, mais un peu « encombrée » et trop anatomique. En peinture, les deux biographes s'unissent pour prêter à Verrocchio la belle Annonciation du musée des Offices, le mystérieux Portrait de femme de la galerie Liechtenstein, et cette Vierge de la cathédrale de Pistoie, où Verrocchio, si vraiment il l'a peinte, a montré qu'il savait parfaitementimiter la manière de son élève Lorenzo di Credi. M. Reymond, cependant, ici, a été plus hardi que Mlle Cruttwell, en mettant au compte de Verrocchio une autre Vierge encore, la Vierge à l'oeillet de Munich, qui. au premier abord, semble toute inspirée du style de Léonard, et qui, si elle est en effet de Verrocchio, achève de nous faire apparaître celui-ci comme le plus étonnant précurseur que nous con- naissions. Ainsi, sauf pour quelques points de détail, M. Reymond et Mlle Cruttwell sont d'accord sur le choix des oeuvres qui doivent désormais appartenir à Verrocchio. Mais les opinions des deux biographes sur les mérites de ces oeuvres et sur le caractère du génie de Verrocchio révèlent, au contraire, plus d'un désaccord : nous forçant à nous rappeler, une fois de plus, que l'histoire et la critique, même les plus savantes, laissent toujours une certaine part à la diversité des impressions personnelles. Pour Mlle Cruttwell, par exemple, «  le trait le plus caractéristique de Fart de Verrocchio est la force, exprimée non seulement par les formes vigoureuses et l'énergie de ses figures, mais par la puissance sévère de son ornementation, la vitalité de ses contours, l'acuité de sa touche ». Pour M. Reymond, le trait le plus caracté- ristique de l'art de Verrocchio est « la tendresse ». «  Spirilualiste comme Donatello. Verrocchio est moins énergique que lui, mais il est plus tendre... Il recherchetout ce qui représente les idées les plus gracieuses. Passionné pour le charme naïf de l'enfance, pour la grâce de l'adolescence, pour la beauté de la femme,partout il met un sourire». Et, pareillement, tandis que Mlle Cruttwell nous présente Verrocchio comme « ayant reçu de Léonard plus qu'il ne lui a donné», M. Reymond cite une phrase toute