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152 LA REVUE DE L'ART par son exécution, des autres parties du tableau, qu'il est impossible de ne pas en être surpris ». Il affirme « qu'on ne trouve rien de pareil, ni dans le saint Jean, ni dans le Christ, ni dans l'ange de droite», et que le progrès de la technique et du modelé est considérable, «par comparaison avec les autres parties du tableau ». Écoutons à présent Mlle Cruttwell : « Si l'on examine les formes, la disposition des draperies, et l'ensemble de la technique, on reconnaîtra avec toute évidence que les deux anges sont de la même main. Les ombres dans les deux figures, le modelé des chairs, la chevelure, les yeux et les sourcils, tout est traité absolument de la même façon : et personne ne songerait à établir une différence entre ces deux anges, si la trop célèbre anecdote de Vasari ne venait pas suggérer une idée préconçue ». Même opposition entre les vues des deux biographes au sujet de cette Annoncia- tion des Offices, que tous deux considèrentcomme l'une des oeuvres les plus authen- tiques de Verrocchio. Pour Mlle Cruttwell, ce tableau est mal composé: «Les deux figures sont trop séparées, sans aucun lien entre elles. Il n'y a aucune centralisation dans le groupement; le panneau gagnerait à être partagé en deux figures isolées ». D'après M. Reymond, Verrocchio, «par une merveilleuse intuition d'artiste, a compris quel effet saisissant pouvait résulter du fait de la distance établie entre les deux per- sonnages ; seul de tous les maîtres qui ont traité le motif de l'Annonciation, il a vu que ce devait être un motif en largeur, et que rien ne pouvait mieux marquer le respect de l'ange que de le placer très loin de la Vierge, comme s'il trouvait peu respectueuxde s'approcher d'elle ». Après quoi, M. Reymond s'étonne que quelqu'un ait pu avoir l'idée d'attribuer à Léonard la petite Annonciation du Louvre, « oeuvre de faible valeur », dont la composition, au contraire de celle du tableau de Florence, est « un contre - sens » ; mais Mlle Cruttwell, qui tient cette petite Annonciation pour un chef-d'oeuvre de Léonard, la déclare conçue admirablement, et » affranchie des erreurs de composition qui se remarquent dans le tableau de Verrocchio ». Les deux biographes notent ensuite que le meuble peint auprès de la Vierge, dans ce dernier tableau, ressemble fort à l'un des tombeaux exécutés par Verrocchio à Saint-Laurent de Florence. Mais tandis que Mlle Cruttwell ajoute que cette ressemblance « ne doit nullement être considérée comme un argument en faveur de l'attribution du tableau à Verrocchio », M. Reymond reconnaît en elle «un argument nouveau en faveur de l'attribution du tableau à Verrocchio», et n'hésite pas à dire que, en mettant dans son oeuvre cette imitation du tombeau de Pierre de Médicis, «  c'est comme si Verrocchio avait signé sa peinture ». Il serait intéressant de poursuivre jusqu'au bout cette comparaison des deux ouvrages, et de soumettre à l'appréciation des connaisseurs la divergence des motifs qui ont conduit Mlle Cruttwell et M. Reymond à admirer les oeuvres, les mêmes oeuvres, que tous deux viennent de restituer au maître florentin. Mais une telle étude dépasserait trop les limites de cette petite notice, et il faut encore que j'indique, en quelques mots, la dissemblance des mérites littéraires des deux biographies. Celle de Mlle Cruttwell est traitée, surtout, à un point de vue polémique : elle est proprement un plaidoyer en faveur de Verrocchio, et aussi quelque chose comme un réquisitoire dirigé à la fois contre les confrères de Verrocchio et contre les critiques modernes qui, dans leur jugement de ce maître, ont émis d'autres opinions que celles