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NOTRE CONCOURS D'ORFÈVRERIE 157 buer le malaise dont nous souffrons, mais bien plutôt au nature] manque de goût de l'acheteur et à l'indifférence artistique du producteur. Jadis, sincèrement, spontanément, le premier aimait un objet pour cet objet même, pour ses qualités d'utilisation, pour sa conformité, son adaptation à son am- biance familiale et sociale, somptueuse sous Louis XIV, élégante et dévergondée sous Louis XV, déjà sèche et plus dogmatique sous Louis XVI. Aujourd'hui, dérouté par l'archéologie mal comprise, hypnotisé par les pièces de musée dont il ne sait plus l'usage et dont il relient seulement la forme, se défiant de ce qu'il lui peut rester de sentiment personnel, il s'attache éperdûment aux choses classées, étudiées par des artistes disparus pour des besoins abolis. L'industriel, d'autre part, trouve un bénéfice immédiat en cette occasion. Pour lui, point, de modèles nouveaux à créer, point d'hésitations, de tâtonnements, de recommencements, de perte de temps, de matière et d'argent, point d'artistes à payer. Il n'a qu'à copier, transformer, voire déformer, le. butin de ses déprédations artis- tiques. Heureusement, cette indifférence aux efforts de recherche, qui sont la vie même de l'artiste, n'est pas générale. Il y a des exceptions très honorables, et même, dans l'ensemble, un reste de nos belles traditions françaises, un goût de race qui n'est pas éteint. On se fournit encore en France par goût et par habitude. Crise artistique peut-être, mais non commerciale encore. Elles gens qui mesurentla valeur d'art d'un pays au nombre des récompenses qu'il obtient dans les Expositions universelles, assurent que nous remportons plus de grands prix que quiconque. Ils affirment d'ail- leurs que, en ces matières, les jurys scrupuleux ne tiennent compte ni de l'ancien- neté d'une maison, ni de ses récompenses antérieures, ni du nombre de ses ouvriers, ni des relations du chef de maison, que l'artiste de valeur, si pauvre, si isolé, si inconnu qu'il puisse être, est toujours largement mis en lumière par ses confrères, libéraux, équitables et généreux. Cependant, il serait sage de penser à ce qui adviendrait,lejour, improbable, je le veux bien, mais possible, où une section étrangère aurait un grand prix de plus que nous, ou bien encore le jour où le Louis XVI cesserait d'être à la mode. Que devien- draient ces industriels, avec leurs modèles hors d'usage et leurs dessinateurs para- lysés par l'habitude du démarquage ? Évidemment, on pourra toujours, les musées sont là, essayer sur une autre époque leur art photographique et leur imagination documentée ; mais supposons que le public, comme il l'a fait depuis que l'art existe jusqu'au siècle dernier, renonce à se recopier lui-même. Devrons-nous, chassés de la place que nous tenons depuis tant de siècles à la tête des nations artistes, nous traî- ner péniblement à la suite des autres peuples depuis longtemps en marche sur le chemin de l'avenir? Très prudente, très avisée, l'orfèvrerie a voulu, comme le mobilier, comme la tenture, comme la céramique, parer au danger, et il convient de remercier la Revue de l'y avoir aidée. Le concours qu'elle a institué était réglé par un programme publié ici et montrant nettement qu'il s'agissait d'un ensemble d'objets usuels, artistiques et modernes, non d'objets d'art inutiles et démarqués.