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201 LA REVUE DE L'ART souvent encanaillé, le trahit. Il vaut mieux quand il est moins ambitieux, quand il oublie même de moraliser, et qu'il consent à peindre, tout simplement, un sujet familier. Alors, son dessin, généralement beau, est admirable — Reynolds ne lui trouvait-il pas quelque chose du dessin de Raphaël? — ; sa facture est large, expressive, puissante; sa couleur forte et profonde. Ses dons de psychologue, visibles sans qu'ils s'affichent, sa fougue naturelle, apaisée sans être éteinte, donnent à ces peintures une profondeur de sentiment, quelque chose d'intérieur et de cordial, qui fait paraître froide la sensibilité toute visuelle d'un Terborch ou d'un Pieter de Hooch. C'est dans un de ces moments d'heureux équilibre qu'il a peint la Prière avant le repas, de la collection de M. Salting, une oeuvre achevée, une des plus belles qu'il ait faites. Une maison villageoise, le soir. Par la porte ouverte, on aperçoit le ciel et les arbres du jardin. La table est mise. Le père coupe en tranches le pain noir; la mère verse la soupe. Ils viennent de rappeler les enfants ; le fils, un blond au charmant visage, rêve encore à son jeu de kolf interrompu; la petite fille, obéissante, a quitté le bateau quelle avait fait d'une pantoufle et d'un vieux chiffon ; elle joint les mains pour la prière, mais je crois bien que ce qui l'occupe, ce sont les apprêts du souper. Des gris, des bruns, des bleus, un jaune clair, un jaune orangé. C'est très peu de chose, et c'est exquis. De toutes façons, même lorsqu'il est vulgaire, bruyant, débraillé, Steen est intéressant ; ses tableaux ont ce qui manque à tant d'autres, la vie. Dans ses bons jours, il est l'égal des plus grands, il est toujours un des plus originaux. Il pique la curiosité ; on ne se fait pas de lui une idée qui satisfasse : n'est-ce pas l'indice qu'il a beaucoup de choses en lui ? Et, assurément, ce n'est pas un de ses côtés les moins singuliers, que ce besoin d'exprimer des idées en peinture ; par là, il mérite d'être regardé comme celui qui a incarné, de la façon la plus curieuse, dans l'art hollandais, ce qu'on pourrait appeler l'esprit leydois. Ce serait faire tort à Leyde que de ne pas prononcer le nom de son grand paysagiste van Goyen —le beau-père de Steen —, quoi qu'il se soit formé à l'école d'Esaïas van de Velde, et qu'il ait surtout vécu hors de sa ville natale. L'exposition du Lakenhal montre deux bons tableaux de lui, celle de MM. Frederik Muller, toute une série, de la plus rare beauté ; on