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206 LA REVUE DE L'ART Il est en effet curieux de voir comment tous les peintres qui se trouvaient en mesure de connaître ses ouvrages, furent comme grisés des nouveautés qu'il apportait : la mise en page originale de ses por- traits, ses costumes orientaux, qui paraissaient le dernier mot do la «  couleur locale » ; son art de composition dans les scènes religieuses, si dramatiques auprès des froids arrangements d'un Lastman, l'usage extraordinaire qu'il faisait de la lumière pour dégager le sens de ce qu'il peignait et en accentuer le pathétique, tout cela frappa fortement les imaginations. Non seulement ses élèves, mais aussi les peintres plus âgés que lui et déjà célèbres, se mirent à l'imiter. On pourrait dire que, pendant dix ans, il fixa le choix des motifs à prendre dans la Bible et la façon de les traiter. Gela est d'autant plus remarquable que personne ne lui prenait rien de profond et n'entrait dans son esprit. Beaucoup s'inspi- rèrent heureusement de ses portraits ; on connaît les belles toiles de Bol et de Flinck ; et voici à l'exposition Frederik Muller un magnifique portrait d'Uytenbogaert, par Jacob Backer, daté de 1638 (à l'église Remonstrante d'Amsterdam); n'était quelque mollesse, on croirait un Rembrandt du même temps : dans le domaine du réel, on pouvait assez bien le suivre. Mais dans le domaine de l'imagination, toutes les imitations sont sans àme. Le décor, le parti pris d'éclairage qu'on lui empruntait étaient chez lui des moyens naturels, une langue qu'il s'était faite pour ce qu'il voulait dire ; chez les autres, c'est une chose glacée dont la vie s'est retirée. On dirait que, par l'effet de je ne sais quel enchantement,ces bons Hollandais, dépourvus de toute fantaisie, se sont trouvés entraînés dans un monde merveilleux pour lequel ils n'étaient pas faits ; la première occasion devait rompre le charme et les ramener sur terre. C'est ce qui arriva. La mode ayant tourné, presque tous abandonnèrent ce qu'ils avaient adoré. Quelques-uns y restèrent fidèles, qui sans doute s'y trouvaient naturellement portés, comme Eeck- hout 1. La plupart changèrent si bien leur manière qu'on les reconnaît à peine. On les taxe souvent d'ingratitude. N'ont-ils pas été plutôt clair- voyants? Pouvaient-ils s'assimiler ces compositions, si peu « composées» et qui semblent venues d'un jet, ce dessin ou rien ne sent la formule, cette 1. Il y a de lui à l'exposition d'Amsterdam un bon Abraham et Melchissédec de 1664, quirepro- duit encore les cavaliers de la Concorde du Pays. Je ne dis rien d'Aert van Gelder; entré tard chez Rembrandt, il savait ce qu'il venait chercher.