Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

28 LA REVUE DE L'ART avoir et a eu, en effet, ce résultat de donner généralement aux têtes, dans ses peintures, un air d'analogie qui finit par devenir banal. Mais le maître ne s'en est pas toujours tenu à ses errements habituels. Dans certaines occurrences, il a cherché la ressemblance individuelle et exécuté de véri- tables portraits d'un haut intérêt iconographique. C'est ainsi que, dans le manuscrit même des Heures du maréchal de Boucicaut, il a représenté le maréchal, sa femme Antoinette de Turenne, et son frère Geoffroy Le Meingre 1. Mais il faut citer surtout, comme oeuvres qui le classent parmi les meilleurs portraitistes de l'époque, les excellentes effigies du roi Charles VI, du duc Jean de Berry et du duc de Bourgogne Jean sans Peur, qui se rencontrent dans le Livre de Salmon, le Livre des merveilles du monde, et le Propriétaire des choses de Béraud Dauphin d'Auvergne. Passons aux fonds. Pour ceux-ci, le maître emploie deux systèmes, comme d'ailleurs l'ont fait encore beaucoup de ses successeurs jusqu'en plein milieu du xve siècle. Tantôt il reste fidèle aux traditions des âges antérieurs, en plaçant seulement derrière des figures, soit des plaques d'or bruni, soit des motifs de décoration, tels par exemple que de petits quadrillés ou de petits losangés où l'or alterne avec des compartiments de couleur. Tantôt, au contraire, il adopte le système moderne. Il fait des tableaux complets où il cherche à reproduire la nature, non seulement pour les figures, mais pour les cadres des scènes. Alors il peint le ciel, le paysage qui s'enfonce par plans successifs jusqu'à l'horizon. Son ciel, il est vrai, conserve encore assez souvent quelque chose d'archaïque. L'azur en est d'un bleu trop accentué, et surtout il apparaît semé d'étoiles d'or, comme si l'on était dans la nuit, alors que les personnages sont modelés en pleine lumière du jour. Mais ces traces d'archaïsme elles-mêmes disparaissent parfois et, dans plusieurs miniatures de la manière fine, qui sont les chefs-d'oeuvre du maître, par exemple dans certaines images du Propriétaire des choses de Béraud Dauphin, du Trésor des histoires de l'amiral Prégent de Coëtivy, et de la plupart des Livres d'heures, on peut admirer sans restriction des lointains délicieux, fuyant, conformément aux règles de la perspective, sous un ciel habilement dégradé, où les rayons du soleil, largement épandus en traits-d'or, jettent l'éclat d'une joyeuse lumière. 1. Les miniatures qui contiennent ces portraits sont reproduites dans la publication de M. G. de Villeneuve, signalée au début de notre travail.