Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/512

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les couches de vernis jaune, sous la pluie des loches blanches laissées par les éraflures de stuc, et parmi les taches sombres formées par les verts qui ont poussé au noir. L’œuvre apparaît virile et magistrale ; mais, en vérité, elle ressemble à peu près au Saint Michel de la collection Wernher comme un Bellini à un van der Weyden.

Doit-on attribuer le tableau de Londres et le tableau de Barcelone à deux artistes distincts ? Si le Rubeus n’est pas Vermejo de Cordoue, le voilà de nouveau sans patrie connue. Quelles raisons invoquer en faveur de l’Espagne ?

Il y en a plus d’une. Le Saint Michel de la collection Wernher provient de la région de Valence : le marchand de Berlin qui l’a vendu ne l’ignorait point. M. Cook l’a dit dans son dernier article. Je puis indiquer où le tableau se trouvait en 1900 : dans une église de Tous, bourgade perdue à une quinzaine de kilomètres d’Aleira, dans un des sites les plus sauvages de la vallée du Jucar.

L’Espagne, il est vrai, a été jadis un vaste musée de tableaux flamands, qui a enrichi de ses dépouilles la plupart des musées d’Europe. Pour attester que le Saint Michel a été peint en Espagne, une preuve matérielle est nécessaire : la signature vient la donner. Le nom de Bartolomeus contient une r à deux hampes parallèles, barrées d’un trait en croix (r perruña), qui est la lettre la plus caractéristique des écritures espagnoles du XVe siècle, et qui a passé dans l’alphabet des incunables castillans[1]. Rubeus, quels que fussent son pays d’origine et la patrie de sa famille, est un peintre qui a appris à écrire en Espagne. Faut-il l’appeler Bartolomé Rubio, ce qui voudrait dire en castillan Le Roux ? Doit-on préférer la forme catalane : Bartomeu Roig ?

Il est inutile de chercher. En dépit des apparences, Rubeus ne fait qu’un avec Vermejo. Le coloris, lorsqu’on passe du Saint Michel à la Pietà, semble très différent : il ne l’a pas toujours été. C’est le vernis grossier dont le tableau de Barcelone a été englué qui le voile d’un glacis ambré, dont le ton indécis rappelle à première vue l’atmosphère dorée des tableaux vénitiens. Les couleurs primitives avaient l’éclat des couleurs flamandes. Les plis anguleux et nets des deux simarres, l’une violet sombre, l’autre cramoisie, la douceur moelleuse des fourrures, petit gris ou hermine,

  1. Conrad Haebler, Tipografia Ibérica del siglo XV. La Haye-Leipzig, 1902, nos 45 et 46, etc.