Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/515

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est probable qu’à son éducation flamande s’est ajoutée la connaissance de quelques œuvres italiennes. Rubeus avait signé en cursive gothique ; Vermejo signe en belles capitales antiques. Cependant, il est resté rebelle à cette grâce italienne, qui devait amollir les plus robustes parmi les étrangers. D’Hispano-Flamand, il est devenu Espagnol. Le portrait du chanoine Desplà, plus ferme encore que le profil du donateur agenouillé devant le saint Michel, ce portrait maussade, presque farouche, est plus proche d’un Zurbaran que d’un Memling ou d’un Bellini. Vermejo est Espagnol par son culte du cadavre divin, qu’il entoure à la fois d’horreur et de tendresse. Le sang s’est caillé sur les bras raidis, alors qu’ils étaient cloués à la croix ; et maintenant que le Christ repose sur les genoux de sa Mère, le flot immobile et noir semble remonter de la main trouée sur le bras pendant. Mais, en peignant le corps de son Sauveur, l’artiste a une pensée qu’aucun autre peintre, je crois, n’a exprimée, une pensée délicate et bizarre de nonne mystique : comme le pied livide du Christ va toucher le sol nu, il en sort, pour le soutenir, une main petite et fine, la main d’un ange de la Terre…

Ce peintre terrible et tendre, savant et puissant, qui a été sans doute le premier des grands peintres de l’Espagne, et qui était hier inconnu, on voudrait savoir quelle a été sa vie, quels ont été ses maîtres, ce qu’il doit à l’Andalousie, sa patrie, et peut-être à la Catalogne, où il a peint un chef-d’œuvre, comment il s’est formé, comment il s’est transformé. Le problème est à peine posé. Il faudra en poursuivre la solution au delà des Pyrénées. Bien d’autres problèmes et d’autres découvertes attendent là les chercheurs de « primitifs ».

Dans un pays qui n’a été dévasté par aucune révolution politique avant 1835, et qui n’a point connu les guerres de religion, les panneaux anciens n’ont eu à souffrir, pour la plupart, que du dédain ou de l’incurie. Ils sont encore nombreux, à coup sûr plus nombreux qu’en France. Les antiquaires s’en sont avisés : dans cette recherche comme dans d’autres, ils ont devancé les archéologues. S’il est facile de comprendre que le Saint Michel de Tous soit resté inconnu jusqu’au jour où il fut apporté à Valence, pour voyager à travers l’Europe, on peut s’étonner que les panneaux du grand polyptyque de la cathédrale de Ciudad-Rodrigo n’aient été étudiés