Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/59

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44 LA REVUE DE L'ART pas sans analogie avec Lucas, non seulement par le choix des sujets, par l'entente de la composition et la science de la distribution de la lumière, mais encore et surtout par le procédé de travail. Ainsi que Decamps, le peintre castillan use largement des empâtements, qu'il évite cependant avec soin dans ses fonds, le plus souvent sombres. Lucas est le dernier interprète de l'Espagne héroïque et picaresque à la fois, où le terrible côtoie le grotesque, la tragédie le vaudeville, où des hidalgos fièrement embossés dans leurs mantes trouées frôlent des gueux aux loques couleur de poussière, où des moines ventrus et hilares hantent des romerias aux bagarres sauvages et sanglantes, qui n'ont rien à envier aux kermesses flamandes. Il a portraituré le contrebandier Escamillo, Carmen la gitana, les delanteros et les zagales des diligences que détroussait le bandit José Maria avant d'entrer dans la police. Il nous introduit dans les humbles et bourdonnantes écoles de village où un vieux pédagogue fouaille ses élèves à grands coups de martinet, ou les fait agenouiller au milieu de la classe, coiffés du bonnet d'âne à longues oreilles. Ses fréquentations mêlées lui ont permis d'étudier et de rendre avec autant de fidélité que d'ironie la canaille madrilène des bouges du faubourg de Lavapies ou du barrio de los Embajadores, les effrontés majos, les provocantes majas des ferlas de San Isidro et des tertulias du carnaval. Son assiduité aux fêtes du cirque, sa profonde connaissance de tout ce qui s'y rattache, nous ont valu ses nombreuses scènes de taureaux amenés à l ' arroyo par des vaqueros presque aussi sauvages que leurs bêtes, ses turbulentes novllladas de village, ses corridas classiques dans l'ancienne plaza de Madrid avec leur foule bariolée et grouillante, ses palcos garnis d'entreprenants aficionados et d'affriolantes manolas, qu'il avait pu étudier à l'aise, car sa belle prestance, — Lucas était un des plus beaux hommes de son temps, — lui avait procuré des succès enviés. Ses relations avec les triomphateurs de l'arène nous ont donné le portrait de Montes, le plus grand et le plus célèbre des toreros passés, présents et probablement à venir. Les cérémonies religieuses, les pompes de l'église, ne le laissèrent pas davantage indifférent. Tantôt il nous montre, râlant, étendu au fond d'un sombre cachot, un malheureux moribond auquel un prêtre apporte