Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/62

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EUGENIO LUCAS 45 le viatique, tantôt des communions dans des cathédrales aux piliers élancés, ou dans des chapelles aux voûtes surbaissées. La féerie eut son four avec lui : voici un épisode de conte de fée ou de bal masqué dont le principal personnage porte une barbe du plus beau bleu azuré, toile à laquelle il devait attacher une certaine importance, car, chose assez rare chez lui, elle est signée et datée. Dans les mêmes don- nées, voilà une fête tauromachique dans l ' alameda du duc d'Osuna, fine, légère, spirituelle, qu'aurait pu signer un de nos petits maîtres du XVIIIe siècle, à condition qu'il eût été un des habitués des courses castillanes. Que la grande, galerie nationale du Prado, réservée aux plus pures gloires de la peinture, ignore Lucas, rien à dire à cela : il est encore trop près de nous pour pouvoir y trouver place ; mais que le musée d'art moderne ne possède pas une seule de ses toiles, tandis qu'il est encombré de produc- tions insipides et rococo d'une série d'artistes oubliés à juste titre, voilà ce qui ne s'explique pas. Si c'est ainsi que l'Espagne compte faire apprécier son école d'art contemporain, elle est dans une profonde erreur. Ne rien tenter pour essayer de tirer Lucas de l'injuste oubli, où on l'a laissé jusqu'à présent, est une faute, mais il va en sortir malgré tout; il en est déjà sorti, car ses ouvrages commencent à être recherchés. Ils l'étaient, au lendemain de sa mort, par quelques rares amateurs de goût. Le marquis de Salamanca, si fin connaisseur, n'avait pas attendu jusque-là et avait acquis de l'artiste lui-même un certain nombre de toiles que l'on voyait accrochées en bonne place dans ses salons de Madrid. Au nombre de celles- ci figuraient deux petites pochades sur zinc, de 40 centimètres sur 30, aujourd'hui en France, au dos desquelles se trouve une inscription, de la main de don Francisco Escalente Valériane, intendant du célèbre collec- tionneur, attestant que, le 9 avril 1860, il a acquis pour son compte, de l'artiste lui-même, ces deux tableaux pour la somme, de 3.000 réaux chacun, c'est-à-dire 750 francs, ce qui était pour l'époque un prix élevé. Les curieux d'art qui ne sont plus tout jeunes se souviennent peut-être d'une petite toile du peintre — Un Orage — d'une exécution fougueuse et d'une colo- ration chaude et brillante, qui avait également fait partie de la galerie du marquis de Salamanca, dispersée au feu des enchères de l'Hôtel Drouot, dans les premiers jours de janvier 1875.