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augusta holmès.

Là vivait une famille d’outre-Manche dont les membres avaient dans les veines du sang des Mac Gregor d’Écosse et des O’Brien d’Irlande[1]. Il la fréquenta, s’éprit de Mlle Shearer, se fit aimer d’elle et demanda sa main. Ceci se passait en 1827. La jeune fille avait alors seize ans[2].

Ce ne fut pas un couple banal. Lui, fort érudit, très artiste, polyglotte et féru de Shakespeare. Elle, assez virile d’allures, intrépide écuyère, inlassable voyageuse[3], toujours avide de mouvement, d’une beauté provocante et promptement appréciée d’un cercle d’admirateurs. Dès un an après leur mariage, M. et Mme Holmès entrèrent, par l’intermédiaire de sa femme, l’Anglaise Lydia Bunbury, en relations avec le poète Alfred de Cigny. Et, sans doute, le futur traducteur d’Othello, qui ne savait qu’imparfaitement la langue de Shakespeare, vit-il un avantage à connaître un homme qui fût à la fois compatriote et fervent du grand tragique. Il semble qu’il n’ait pas tardé, d’autre part, à se montrer sensible aux charmes de sa belle et coquette jeune femme. L’Anglaise dont il vint demander un jour un croquis à Gigoux, pour conserver son image pendant le temps de la séparation[4], n’était autre (M. Séché l’assure d’après un témoignage sérieux) que Mme Holmès à la veille de retourner en Angleterre. Car le jeune ménage résidait habituellement outre--

  1. Consciente de son illustre origine, Augusta Holmès se croyait très réellement des droits au trône d’Irlande et ne parlait jamais de la reine Victoria que comme d’une usurpatrice
  2. Elle était née en 1881, à Hampshire (Angleterre). Elle s’appelait Tryphina-Anna-Constance-Augusta.
  3. Leur voyage de noces fut, paraît-il, une randonnée à cheval à travers l’Italie.
  4. « Je vous amènerai un ange, mon cher ami, — une Anglaise, — disait-il à Gigoux. Vous me ferez d’elle un croquis, n’est-ce pas ? Elle va partir et je voudrais conserver quelque chose d’elle. » Et Gigoux d’ajouter : « Ce premier amour dure bien longtemps ; son souvenir persistait encore vingt ans après. » (Causeries sur les Artistes de mon temps.)
    Deux documents témoignent de l’intimité incontestable dont jouissait le poète dans le ménage. L’un est une lettre inédite de Vigny à un ami commun, Hugues Fourau, daté du 7 mai 1846, et conservée à la Bibl. Nat. (N. a. FR., 7553), et dont je dois de connaître l’existence à la grande obligeance de M. Baldensperger, le savant historien et éditeur de Vigny : « Savez-vous pourquoi vous n’avez pas été reçu chez nos aimables et bons amis ? C’est que Mme Holmès a été depuis plus d’un mois très malade d’une fièvre inflammatoire qui était loin d’être sans danger. À présent, elle est sauvée, convalescente, et elle vous attend parmi ses plus fidèles amis qui commencent à pouvoir être reçus. Je me suis chargé de vous le faire savoir. » — L’autre est sa lettre à Busoni, du 24 juillet 1849 ( « On se plaint de vous, rue de Berry » ), publiée par Séché.