Elle inspira des écrivains aussi :
Vigny qui, vingt ans auparavant, avait incarné la mère dans l’Éva de la Maison du Berger, dédiait à la fille les vers immortels de l’Esprit pur :
Si l’orgueil prend ton cœur quand le peuple me nomme,
Que de mes livres seuls te vienne ta fierté,
J’ai mis sur le cimier doré du gentilhomme
Une plume de fer qui n’est pas sans beauté,
J’ai fait illustre un nom qu’on m’a transmis sans gloire.
Qu’il soit ancien, qu’importe ? Il n’aura de mémoire
Que du jour seulement où mon front l’a porté.
C’est à elle que songeait le poète Émile Deschamps quand il dépeignait :
….. celle dont les pleurs ou le divin sourire
Embellissent le beau que son esprit admire,
Qui grandit seule, ainsi qu’un palmier du désert,
Dont l’œil est une étoile et la voix une lyre,
Et qui passe, charmante, en cet âge de fer,
Comme une autre Éloa qui console l’enfer[1].
- ↑ Citons, en outre, à titre de curiosité, — car il n’ajoute rien à la gloire
poétique de son auteur, — un acrostiche sur le nom d’Augusta, qui figure dans
les papiers d’Émile Deschamps conservés à la Bibliothèque de Versailles :
Au banquet des Élus qui donc vient prendre place ?
Une artiste, une Muse, émule d’Apollon,
Glorieuse et brillante étoile du Parnasse,
Une fière beauté, sage comme Solon,
Sans morgue, sans envie, un cœur d’or sans paillon,
Tous les dons en partage, Heureuse destiné !
Augusta, c’est bien toi… Nous t’avons devinée.
qu’arriva la jeune Augusta Holmès, dont Mme de Sainbris avait promis de faire
apprécier à ses jeunes amis le talent naissant et déjà extraordinaire d’interprète
et de compositrice. Elle chanta de ses mélodies et fit sur Regnault une impression
très vive que Theuriet, présent à la scène, note en ces termes : « Regnault était
comme enivré par cette musique ; ses yeux étincelants restaient fixés sur la
chanteuse et, dans son enthousiasme exubérant, il s’écriait : « C’est une déesse,
c’est une Walkyrie ! » Quelques semaines plus tard, Theuriet se rendant à
l’exposition des concours de peinture pour le prix de Rome, demeurait aisi de
reconnaître au visage de la Thétis peinte par Regnault « les traits purs et fiers,
l’attitude, l’incessu patuit dea de la jeune musicienne… Le lendemain [de la
visite à Versailles], le peintre était arrivé tout en fièvre dans sa loge, il avait
bouleversé son tableau, modifié sa composition et substitué à la Thétis banale
et conventionnelle cette jeune et majestueuse déesse qui s’avance en soulevant
le rideau de la tente, la tête haute, droite, avec une épaisse chevelure d’or
retombant sur le dos comme une crinière. »
Nous avons d’ailleurs l’aveu de Regnault lui-même, dans une lettre écrite à
Mme de Sainbris, aussitôt après son succès : « Vous voyez, Madame, qu’il est bon
d’avoir rencontré Mlle *** [Augusta Holmès], car ma Thétis, c’est elle, et vous
la reconnaîtrez en voyant mon tableau… » (Corresp de Regnault, publ. par
A. Duparc, Paris, Charpentier, s. d. ; p. 30-31.)