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Page:Revue de l'histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, année 1919.djvu/286

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l’interprétation de versailles

l’harmonie de cet ensemble démesuré offre à l’imagination la fête la plus admirable dont puisse s’enchanter un poète !

Instinctivement, on cherche la foule brillante qui jadis animait ces ombrages. Tout est mort. Mais, si l’homme a disparu, la nature, disciplinée par lui, porte toujours son empreinte. Impétueuses, exubérantes, les sèves jaillissent dans l’élancement des branches, l’odeur fauve des profondeurs sylvestres embaume l’air. Une raison sage, amoureuse de l’ordre et de l’éclat, a réglé l’expansion de ces énergies sauvages. On monte au milieu des statues, des vases, des dieux termes, — copies précieuses des maîtres antiques, hommage pieux aux cultes abolis de lointains ancêtres. On s’arrête devant la blanche Colonnade, avec ses jets d’eau taris dont les vasques se dressent sous la courbe gracieuse du portique, comme de hautes coupes à sorbets ; et l’on y évoque, en de chaudes soirées d’août, abritées par des voiles éclatants, des assemblées de femmes parées ou dévêtues comme des nymphes… On s’étonne, et l’on se souvient de la chose divine et délicate que fut la volupté de la France !

Mais, autour du bassin de Latone, la rangée solennelle des ifs s’élargit, puis se resserre, en gravissant les rampes. Vous touchez au sommet de la dernière terrasse. Enfin, le noble horizon se déploie tout entier ; et, en face de ces grandes étendues géométriques et pompeuses, le premier sentiment est une sorte de stupeur admirative devant la majesté de l’espace. Gigantesque miroirs créés tout exprès pour refléter sa magnificence, les parterres d’eau répètent et prolongent dans leurs ciels illusoires la vaste ordonnance du palais, avec ses statues, ses trophées de cuirasses et de drapeaux, ses pilastres et ses colonnes au mol ionique fleuri de guirlandes, ses hautes fenêtres au cintre épanoui comme pour accueillir plus abondamment la lumière. Cela est immense, mais cela n’écrase point. Cela est splendide, mais sans faste insolent. On dirait un édifice fait avec de la clarté… La grâce aimable domine partout. C’est le palais de l’esprit, de l’art sociable, de la civilisation la plus douce et la plus humaine qui fut jamais !

… Ô ma France, nulle part je ne t’ai vue si belle que dans ces lieux… Une émotion terrible et douce nous envahit en songeant à tout ce passé formidable que nous portons en nous, si bien que notre voix se brise dans un sanglot, ô mère, en te criant notre tendresse et l’orgueil d’être tes fils !  »


(À suivre.)

Marcel Batilliat.