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Puis, sacrifiant sur l’autel de la théorie de l’éloignement, chère à Littré, M. Brachet ajoute en note :

« On remarquera comment la forme amève, qui garde la consonne latine, se rapproche d’amabam. On peut d’ailleurs faire à ce sujet la remarque générale : que les formes romanes, claires et sonores au midi comme le latin lui-même, vont en se contractant, et par suite en s’assourdissant graduellement, à mesure qu’elles montent vers le nord : ainsi cantabam est en Espagne cantaba, en Italie et en Provence cantava, en Bourgogne chantève, en Île-de-France chantoie, en Normandie chantoue. On peut ici comparer le latin à un thermomètre très sensible qui s’abaisse de plus en plus quand on monte vers le nord ; mais ces changements ont lieu par dégradations continues et successives, non par de brusques changements : Natura non facit saltum. »

Nous avouons qu’entre le cantabam latin, le cantaba espagnol, le cantava italien, espagnol et portugais, nous ne voyons aucune gradation continue et successive. Il est vrai que, pour M. Brachet, la théorie de l’éloignement n’est applicable que du sud au nord ; mais ici encore, elle n’est pas confirmée par les faits : si l’on trouve une dégradation dans les trois formes chantève, chantoie, chantoue, nous répondrons que le patois de Liège fait ève à toutes les conjugaisons : j’aimève, ji finihève, ji d’vève, ji rindève’', sauf que la deuxième conjugaison en i long (comme bahî, baisser, brôdî, gâcher) fait îve : ji bahîve. Que devient ici le thermomètre dont on vante si fort la sensibilité ?

M. Brachet semble vouloir, à l’aide de ces remarques, esquiver la difficulté. Pourquoi ne nous parle-t-il que de la première conjugaison ? N’a-t-il pas remarqué que l’ita-