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G. LANSON.PHILOSOPHIE CARTÉSIENNE ET LITTÉRATURE.

nature et une forme d’âme dont précisément la société française du temps offre la saisissante réalité. Tout le système cartésien semble organisé pour une nature d’esprit avide surtout de connaissance intellectuelle et d’idées claires, n’ayant que de médiocres besoins d’imagination, et que ne tyrannise aucun appétit sentimental, ni esthétique, ni pratique. En particulier, la théorie des passions et de la volonté, professée par Descartes non comme une règle idéale qu’il est bon de suivre, mais comme une science exacte qui correspond aux faits psychologiques, suppose des âmes énergiques qui aient le goût et l’habitude de se maîtriser, et de n’agir jamais que sachant ce qu’elles veulent et voulant ce qu’elles font.

Or, lorsqu’on regarde avec quelque attention le type français contemporain,(de 1610 environ à 1660), il apparaît comme la réalité historique et morale à laquelle s’applique la construction universelle a priori de Descartes. Les hommes de ce temps-là ont des passions fortes, brutales même mais ce ne sont à aucun degré des sentimentaux. Les passions en eux sont des impulsions qui les portent à agir ils ne font pas du sentiment en lui-même une représentation voluptueuse ou artistique du réel, un exercice raffiné de jouissance intérieure. Ils regardent le but hors d’eux, non l’agitation en eux et s’ils ne réussissent pas toujours, du moins ils ne renoncent jamais à se rendre maîtres de ces sollicitations internes, à choisir les actes auxquels, avec réflexion, librement, ils se porteront. Leur idéal ; leur prétention, c’est d’agir par raison, non par passion ils laissent au peuple les impulsions irraisonnées et brutales. Ils se défendent même de la pitié comme d’une surprise humiliante des sens. Ainsi sont faites les âmes des Richelieu, des Retz, des La Rochefoucauld, matière commune à Descartes et à Corneille, public commun de la philosophie et de la littérature.

II

Donc, plus il y a concordance entre le cartésianisme et les écrivains ou la société au temps où Descartes écrit, moins nous serons autorisés à parler d’influence. Mais après la mort de Descartes, le développement de son œuvre une fois achevé, l’influence va s’exercer, à mesure que de jeunes esprits, dans les nouvelles générations, rencontreront, dans la saison même de leur formation, les idées puissantes et fécondes de cette philosophie.

On trouverait sans peine que, parmi les grands écrivains de la