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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

rais l’affirmer. La source lyrique est tarie déjà chez Malherbe, qui fait du lyrisme avec de l’éloquence. Les circonstances historiques interdisent l’histoire vraie, en même temps que le goût des idées générales et la persuasion de la constante identité de l’âme humaine à travers le temps et l’espace empêchent l’histoire vivante : et si le premier fait est évident dès Richelieu, le second commençait à se dessiner dans Amyot. Enfin, le sentiment de la nature était trop lié aux émotions lyriques pour ne pas disparaître avec elles et l’esprit, c’est-à-dire l’exercice ingénieux de l’esprit sur ses propres idées à l’occasion des objets naturels, avait pris déjà dans l’Astrée et dans la poésie précieuse la place du sentiment de la nature.

Que restera-t-il à Descartes ? Il lui restera d’avoir enfoncé plus avant le siècle et la littérature dans les voies où ils étaient spontanément entrés, d’avoir fermé rigoureusement les issues dont ils s’étaient détournés, de les avoir fixés en quelque sorte dans leur sens, en leur offrant des motifs raisonnables d’y persévérer.

En effet, l’âme est plus aisée à connaître que le corps. Quiconque aimera les idées claires, se portera plutôt à l’analyse de sa propre pensée qu’à la recherche des choses étendues. Les corps sont objets de pensée, non par leurs formes sensibles, mais par les notions intelligibles de propriétés et de rapport qui les représentent idéalement. On pourra donc étudier la nature, on ne la peindra pas. Enfin dans la nature, tout est corps, tout est matière, tout est étendue nulle part il n’y a vie, âme, volonté. Tout y est inerte et mort, mû d’un mouvement transmis et nécessaire. Une infinie disproportion sépare l’être pensant de la chose matérielle donc nulle sympathie, nulle pitié, nul commerce d’émotion, nulle illusion d’amour ne saurait unir l’esprit raisonnable à la nature inanimée, à la brute automate. — Et voilà la racine du sentiment de la nature nettement coupée.

Les passions, en tant qu’elles appartiennent au corps, s’excluent avec la nature, et pour les mêmes raisons. En tant qu’elles appartiennent à l’âme, elles sont des pensées qui se peuvent définir, enchaîner, classer la science des notions par lesquelles ces faits se coordonnent, se règlent et se comprennent, c’est la psychologie. Elles sont des pensées pourvues d’une force spéciale, qui les fait tendre à l’action et les rend aptes à se réaliser : la science des moyens par lesquels la volonté peut les combattre, les soumettre et les diriger, c’est une psychologie pratique unie à la morale. L’expression littéraire correspondante à la première de ces sciences, sera la