Page:Revue de métaphysique et de morale, 1896.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
538
REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Et peu importe que la doctrine de Descartes soit délaissée : par l’esprit et par le goût notre littérature du xviiie siècle sera toute cartésienne. L’exclusive préoccupation des idées, l’idolâtrie de la raison (peu importe qu’on fasse passer sous ce nom bien des préjuges et des modes), la poursuite obstinée de la distinction et de la clarté dans les pensées, l’esprit d’abstraction et de raisonnement à outrance, la sécheresse précise de la phrase admirablement nette, tout cela semble bien être l’idéal littéraire, qui correspond à la méthode de Descartes jamais cet idéal ne fut plus près d’être réalisé que dans notre xviiie siècle, par les Fontenelle, les Montesquieu, les Voltaire, les Duclos, les Dalembert, les Du Deffand.

VI

C’est alors vraiment que Descartes eut son heure : un demi-siècle après sa mort, juste au moment où la vertu générale de sa méthode, affranchie de sa doctrine personnelle, commençait de produire ses effets dans l’évolution des idées philosophiques, à ce moment aussi elle triomphait de l’esprit classique et manifestait ses propriétés spéciales dans l’évolution des formes littéraires. Il n’est pas inutile d’y insister.

On remarquera d’abord que jusqu’au milieu du xviiie siècle la seule méthode qui s’offre en France à l’écrivain désireux de traiter une ample matière avec ordre et d’en procurer une connaissance certaine, est la méthode de Descartes. Nos gens n’en aperçoivent pas d’autre. Et ainsi toute grande construction méthodique s’établit selon les règles cartésiennes. On s’efforce de remonter d’abord à des principes simples, évidents, d’où, par l’analyse, on déduit toutes les conséquences nécessaires l’expérience sert seulement à déterminer les problèmes qu’il faut poser, les conséquences qu’il faut tirer, parmi le nombre infini des problèmes et des conséquences possibles ; elle sert encore, si l’on veut, de vérification, et comme de preuve de la justesse de l’opération, quand le résultat de la déduction concorde avec elle. On construit ainsi un système idéal, logiquement nécessaire, que la méthode garantit valoir objectivement comme l’expression exacte et l’explication vraie de la réalité des choses.

À cette méthode se rattachait déjà un des grands ouvrages de Bossuet, la Politique tirée de l’Écriture sainte. L’exposition est divisée en livres, articles, propositions. Pour parvenir à la constitution de la monarchie française que doit régir un jour le dauphin son élève,