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10 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Loin de créer cette vérité nous n’avons d’être que par elle. Selon l’ordre de l’apparence (Sckein) cette vérité se manifeste progressivement dans le temps et l’histoire du monde n’a d’unité ni de sens que par la continuité de cette révélation ; mais elle-même est affranchie du devenir parce qu’elle en contient la raison. Avec Aristote, c’est par le parfait que Hegel explique l’imparfait. Comme nous l’avons noté déjà, une seule différence les sépare. Contrairement à son devancier, Hegel fait de l’imparfait lui-même un moment de la perfection absolue. Mais en celle-ci, en tant qu’elle subsiste en et pour soi, ce moment est éternellement dépassé. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, tandis que le Dieu d’Aristote demeure enfermé dans sa transcendance, qui devient ainsi pour lui une limite, le Dieu de Hegel est immanent et transcendant tout à la fois. Il est l’être de toute chose, il anime et dirige la nature et s’incarne dans l’humanité sans perdre pour cela sa personnalité absolue, sans cesser d’être l’éternelle raison supérieure au temps et à l’espace, dont l’essence, l’existence et l’infinie béatitude consistent indivisiblement dans l’acte par lequel tout à la fois elle se produit et se contemple ellemême. Comment cela est-il possible ? c’est ce que nous avons déjà expliqué plus haut d’après l’auteur. Quoi qu’il en soit, le système ne saurait, croyons-nous, comporter d’autre interprétation. Réduire le Dieu de Hegel à un idéal irréalisé, c’est oublier que la dialectique, d’après ses déclarations expresses et répétées, ne peut s’arrêter à la catégorie du devoir-être (sollen) ; et qu’il reproche explicitement à la théorie de la science (Wissenschaftslekre de Fichte) de n’avoir pas dépassé ce point de vue.

C’est oublier également que, dans toutes les phases du procès dialectique, le résultat apparent est le véritable principe, et que la pensée du philosophe doit d’abord pour ainsi dire remonter le cours de l’activité créatrice. D’ailleurs, si l’on conserve quelque doute à cet égard, qu’on prenne la peine de relire les dernières lignes de la philosophie de l’Esprit que nous avons citées plus haut. La création apparaît d’abord comme une réalisation progressive de la vérité absolue. ’Pure abstraction au début, elle se revêt dans la nature d’une matérialité qui la dissimule à elle-même, pour s’incarner finalement dans l’homme et atteindre en lui conscience de soi. C’est là, si l’on veut, le point de vue naturaliste ; c’est, nous dit expressément Hegel, le point de vue de l’apparence. Conformément à la dialectique du syllogisme, il nous conduit à un point de vue plus élevé le point