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Page:Revue de métaphysique et de morale, 1897.djvu/191

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CRITON.dialogue philosophique entre eudoxe et ariste

Ariste. — Cela est incontestable.

Eudoxe. — Voilà qui nous explique pourquoi la constatation d’un fait, qui devrait mettre fin à toute controverse, est au contraire presque toujours le point de départ d’une controverse sans fin. Car il suffit de se rappeler que le jugement peut modifier les perceptions et même les créer, comme il arrive dans les illusions des sens, pour comprendre que chacun verra trop souvent, dans un fait, ce qu’il y cherche, et risquera toujours de constater ce qu’il attend uniquement parce qu’il l’attend.

Ariste. — C’est bien en effet ce qui arrive, et c’est sans doute pour cela que les miracles n’ont jamais converti que ceux qui étaient convertis d’avance.

Eudoxe. — Considérez quelles conclusions très étendues nous conduirait l’analyse attentive d’une simple, illusion des sens, et vous verrez par là que l’étude de ce que l’on appelle les fonctions inférieures de la pensée est aussi utile et aussi féconde qu’aucune autre. Ainsi un fait n’a par lui-même aucune autorité toute vérité est fille du raisonnement et de la démonstration, et l’accord de deux esprits n’est possible que si l’un d’eux peut être amené, par un enchaînement nécessaire de jugements, à penser comme l’autre ?

Ariste. — Comment le nier ?

Eudoxe. — De sorte qu’il faut admettre ou bien qu’aucun accord des esprits n’est possible, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune vérité, ou bien que l’accord des esprits résultera de démonstrations nécessaires ?

Ariste. — Et du reste il faut bien, qu’il y ait une vérité, car si tout est douteux, il sera encore vrai que tout est douteux, et on pourra démontrer que tout est douteux.

Eudoxe. — Vous rappelez fort à propos ce que nous avons antérieurement établi, Ariste. Ainsi il faut que deux esprits puissent se mettre d’accord par des démonstrations nécessaires ?

Ariste. — Il le faut.

Eudoxe. — Mais toute démonstration ne suppose-t-elle pas quelque vérité reconnue préalablement, et qui est comme son principe ?

Ariste. — Il le faut bien.

Eudoxe. — Une démonstration nécessaire suppose donc elle-même une proposition nécessaire ?

Ariste. — Comment s’imposerait-elle s’il en était autrement ?

Eudoxe. — Une proposition nécessaire, c’est-à-dire déjà démontrée ?