Eudoxe. — Posons donc comme principe des principes que la pensée affirme.
Ariste. — Posons-le. Mais j’avoue que je ne vois pas ce que nous pourrons tirer d’une telle proposition.
Eudoxe. — Il suffira peut-être de l’exprimer d’une autre manière pour que nous en apercevions toute l’importance.
Ariste. — Je ne demande qu’à vous suivre dans cette recherche.
Eudoxe. — Voici, Ariste, un cahier. Lorsque j’ai affirmé qu’il est bleu et qu’il n’est pas bleu, n’ai-je pas embrassé toutes les affirmations possibles au sujet de sa couleur ?
Ariste. — Il me semble que non ; car je puis-bien dire qu’il est rouge, jaune, vert.
Eudoxe. — Affirmer tout cela, Ariste, ce sera toujours affirmer implicitement qu’il n’est pas bleu.
Ariste. — Cela est vrai.
Eudoxe. — Il faut donc bien que j’affirme ou qu’il est bleu ou qu’il n’est pas bleu.
Ariste. — Il le faut.
Eudoxe. — À moins de ne rien affirmer du tout, et, comme on dit, de suspendre mon jugement.
Ariste. — Oui.
Eudoxe. — Mais puis-je suspendre mon jugement ?
Ariste. — Pourquoi non ?
Eudoxe. — Puis-je donc penser à la couleur de ce cahier sans en rien affirmer ?
Ariste. — Pourquoi ne le pourrais-je pas ?
Eudoxe. — Je pourrai donc penser sans affirmer ?
Ariste. — Il me semble que oui.
Eudoxe. — Mais nous avons posé comme principe des principes que la pensée affirme nécessairement ?
Ariste. — Oui.
Eudoxe. — Peut-on alors penser sans affirmer ?
Ariste. — On ne le peut pas.
Eudoxe. — Comment donc suspendre son jugement ?
Ariste. — Cela est impossible.
Eudoxe. — De telle sorte qu’il n’y a point de milieu entre affirmer et nier une chose d’une autre ?
Ariste. — Vous me conduisez, Eudoxe, par des chemins qui sont