J.-J. GOURD. – LES TROIS DIALECTIQUES 319
science qui domine tous les artifices humains, voilà bien l’aboutissement de la religion. Et c’est ce qui ressort. de l’histoire des grands génies, de ceux qui voient et sentent plus profondément que le commun des hommes, de ceux qui ont une puissante intuition immédiate des choses. On pourra dire qu’ils ne sont pas tous des hommes religieux. A la -manière de tout le monde, non, sans doute, ils ne le sont pas tous. Mais ils sont tous de grandes âmes, de grands cœurs. Ils sympathisent ardemment avec la réalité. Ils ne sont clairvoyants que parce qu’ils aiment. C’est par l’amour, a dit Platon, l’amour qui s’élance comme une flamme brûlante, que l’unification s’accomplit. Or, cet amour de la réalité ne nous maintient-il pas en pleine atmosphère religieuse ? Ce qu’on aime de la réalité, ce n’est pas ce qui s’efface, ce qui se trouve en tout, et s’harmonise avec tout, à savoir l’élément qui se coordonne ; non, c’est l’élément d’activité, de différence, qui est aussi l’élément de plaisir, c’est l’absolu. Aimer la réalité, c’est aimer l’absolu, c’est aimer Dieu ; et les grands génies, par cela même qu’ils sont de grands cœurs, sont aussi en définitive des esprits religieux.
Encore un mot. La nouvelle conscience primitive nous offre-t-elle un but définitif, ou simplement un point de départ pour de nouveaux mouvements analogues à ceux qu’elle dépasse ? Cela dépend de sa force, cela dépend aussi de notre force. De fait, c’est déjà beaucoup, c’est déjà au-dessus des capacités de l’immense majorité des esprits, que de s’élever un instant au-dessus de la dialectique. Et aussitôt nous devons y rentrer. Nos catégories nous reprennent, et c’est en elles que nous vivons. Mais, de nous en être dégagés un instant, n’est pas en pure perte. A la dialectique qui recommence, nous pouvons offrir une conscience plus forte que celle d’autrefois ; et, si tout s’y arrange comme par le passé, c’est du moins avec des intensités nouvelles, et peut-être aussi avec de nouveaux termes et de nouvelles séries. Non, nous ne revenons pas au point de départ comme après une course vaine. La dialectique a agrandi la conscience primitive, et cet agrandissement entraîne, à son tour, celui de la dialectique elle-même, en attendant des conditions plus heureuses encore, pour nous ou pour nos successeurs. J.-J. GOURD.
’.̃̃̃̃’̃ FIN
