spéculations de la pensée théorique restent très voisines des conditions de la réalité même, ou, en tout cas, doivent ne pas s’en ̃écarter, si l’on ne veut pas tomber dans la rêverie inutile. Il faut aux conceptions de la science rationnelle certaines conditions déterminées de « positivité » pour qu’elles ne deviennent pas des chimères.
Or il arrive que ces restrictions, imposées à l’élan de la pensée, limitent considérablement son pouvoir, et il est difficile de n’être pas frappé du sentiment profond qu’a Auguste Comte des bornes de la science : ce sentiment s’exprime à chaque page des leçons de philosophie positive.
Considérant, par exemple, le degré d’abstraction, d’universalité et de simplicité auquel a atteint de son temps l’analyse mathématique, il déclare : « On ne saurait tenter d’aller plus loin sous ces trois rapports équivalents, sans tomber évidemment dans les rêveries métaphysiques. Car quel substratum effectif pourrait-il rester dans l’esprit pour servir de sujet positif au raisonnement, si on voulait supprimer encore quelque circonstance dans les notions des quantités indéterminées, constantes ou variables, telles que les géomètres les emploient aujourd’hui[1] ? » De même, après avoir énuméré les fonctions qu’étudie l’analyse de son temps « À quelques formules, dit-il, que puisse conduire l’élaboration des équations, il n’y aurait lieu à de nouvelles opérations arithmétiques que si l’on venait à créer de véritables nouveaux éléments analytiques, dont le nombre sera toujours, quoiqu’il arrive, extrêmement petit[2] », et plus loin[3] : « Nous ne concevons nullement de quelle manière on pourrait procéder à la création de nouvelles fonctions abstraites élémentaires, remplissant convenablement toutes les conditions nécessaires. Ce n’est pas à dire néanmoins que nous avons atteint aujourd’hui la limite effective posée à cet égard par les bornes de notre intelligence. Il est même certain que les derniers perfectionnements spéciaux de l’analyse mathématique ont contribué à étendre nos ressources sous ce rapport, en introduisant dans le domaine du calcul certaines intégrales définies, qui à quelques égards tiennent lieu de nouvelles fonctions simples, quoiqu’elles soient loin de remplir toutes les conditions convenables, ce qui m’a empêché de les inscrire au tableau des vrais