560 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE- ET DE. MORALE.
sont dictées par de telles erreurs si les Pharaons ou les Incas épousaient leurs’sœurs, c’est qu’ils se croyaient d’essence divine ; ils ne pouvaient sans déchoir s’allier à la famille de leurs sujets. De même, : les propriétaires d’esclaves Aristote nous en donne la preuve estimaient qu’ils étaient d’une nature supérieure, et c’est seulement lorsque cette croyance est battue en brèche soit par le stoïcisme, soit par le christianisme, soit par la philosophie du xvm° siècle, que l’institution s’affaiblit et disparaît. De même encore, la ! question’ sociale serait résolue si l’on pouvait s’accorder sur la valeur respective des capitalistes ’et des travailleurs. Les uns disent « Nous sommes la tête et vous êtes les bras ; la tête vaut mieux que les bras ;: la répartition des bénéfices devant être proportionnelle à la. valeur des associés, nous prenons la part du lion. » Et les autres répondent « Les bras sont aussi utiles que la tête, et la répartition des bénéfices devant être proportionnelle à la valeur des associés, nous demandons une part égale à la vôtre ». Des deux côtés on fait appel lamêmeloide justice. Si des égaux peuvent se croire inégaux, réciproquement des êtres inégaux peuvent se croire égaux. Deux ouvriers de zèle et de talent inégaux s’imaginent volontiers qu’ils ont droit aux mêmes gratifications, aux mêmes faveurs ; de même deux fonctionnaires croient volontiers qu’ils ont droit au même avancement il suffit qu’ils soient voisins et associés à une tâche unique pour qu’ils s’attribuent la même valeur. Ainsi toutes les régies de la justice individuelle ou sociale peuvent être violées si les hommes se trompent sur leur égalité ou sur leur inégalité. Aussi la plupart des progrès de la morale ont-ils été accomplis par les penseurs qui ont rectifié les opinions des hommes sur leur valeur respective pour transformer la morale, il est inutile de chercher. des lois nouvelles la loi morale est éternelle si elle est déduite de la raison, mais il suffit de corriger les erreurs commises par l’intelligence dans l’appréciation des actes et des agents. Ces erreurs viennent surtout de l’égoïsme qui exagère notre propre valeur au détriment de. celle d’autrui. Mais elles viennent aussi de notre précipitation qui. nous pousse à juger d’après les apparences superficielles plutôt que d’après les réalités profondes. L’homme mesure sa valeur à ses qualités corporelles avant de la mesurer à ses qualités morales. Dans le premier cas, il est avant i. Voir Huret, Enquête sur la question sociale en Europe, p. 26.