876 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
Le rire, en revanche, a un beau et bon côté. Nous en parlerons tout à. l’heure.
En regard de ces gens si imperturbablement sérieux dont je parlais, il existe certainement des rieurs c’est un tempérament ou mieux une espèce dans les esprits.
Je rappelle qu’il s’agit ici uniquement du rire intellectuel, artistique. Celui-ci assez souvent n’arrive pas jusqu’aux lèvres, il reste intime. Molière rit en dedans ; qu’on me passe le mot, il rit dans l’esprit. Il en a été de même d’autres rieurs, Swift, par exemple. Il se peut bien que le rieur soit aussi moral dans sa conduite que l’homme le plus incapable de rire ; mais quand le rieur contemple le train du monde, il ne le voit sûrement pas du même oeil que cet homme. Précisons c’est le premier regard qui n’est pas le même. Le rieur porte dans ce premier regard une discrimination, une finesse, qui relèvent de la raison ; mais d’autre part il lui manque une certaine susceptibilité morale, une certaine préoccupation des acte.s et de leurs conséquences au point de vue de l’injuste ou du nuisible pour les autres. S’il avait cela qui sommeille et se réveillera peut-être plus tard-, il ne rirait pas, il ne trouverait pas. cet aspect des choses qui fait rire, bref le comique. Molière pourra bien après coup prendre pour devise le castigat ridendo -mores ; mais il s’illusionne. Il reporte au premier moment une philosophie qui n’est que du second. Quand Molière fait son œuvre de rieur, la morale est le cadet de ses soucis. Il n’est pas difficile à Bossuet ou à Rousseau de lui démontrer cela. Je ne veux pas dire que Bossuet et Rousseau aient raison ; ils ont au contraire ici le tort le plus grave celui d’être inintelligents, incompréhensifs, d’être des moralistes exclusifs. Convenons seulement qu’en se donnant pour un moraliste d’intention Molière a provoqué la contradiction.
L’homme à tempérament rieur, à esprit comique, poursuit non la flagellation du vice, comme il l’a prétendu à tort, mais une émotion sui generis, émotion très intellectuelle qui lui" est donnée par un aspectspécial des personnes et des faits, l’aspect du désappointement, du désarroi, du déraisonnable, bref de l’inconvenant. Le grand, le puissant rieur adore cette émotion, sans quoi il ne serait pas ce qu’il est ; et il en cherche partout l’occasion : après quoi il songe à communiquer cette émotion aux autres. Lorsqu’il est tout à fait complet, l’esprit comique en arrive à voir, sous les dehors que les intérêts de la sociabilité nous,, imposent, tout le contraste, tout le discord qu’il y