74 revue DE MÉTAPHYSIQUE ET DE morale.
et, si la vie du langage n’est qu’une métaphore linguistique, la seconde expression, au contraire, énonce une vérité générale dont toutes les applications particulières relèvent essentiellement de la psycho-physiologie.
A l’appui de cette distinction, M. Henry cite les deux exemples suivants la dérivation du mot français cheval du latin cabalïum, et l’apparition, vers le xm* siècle, dans le’ vocabulaire français, du mot jument. Dans le premier cas, on est en présence d’un fait de phonétique pure. La mutation de ca en che et de b en v a, sans doute, une cause physiologique, mais cette cause importe peu ; on peut en faire abstraction. La mutation indiquée est un fait constant, susceptible, par suite, d’être généralisé et de se traduire en loi fp. 20). Or une telle loi constitue une explication linguistique proprement dite, à. laquelle l’hypothèse de la-vie d’une langue, ayant été le latin dans sa jeunesse, devenue le français dans sa vieillesse, n’ajouterait aucune clarté, et qui, d’un autre côté, n’a nul besoin des lumières de la biologie, bien que, en réalité, le fait dans sa cause profonde appartienne au domaine de cette dernière science. Il en est de même de la plupart des faits de phonétique et de morphologie. Il suffît de les grouper par ressemblance et de constater qu’ils se réduisent à peu près à la répétition d’un même phénomène dans des circonstances semblables, et les lois empiriques qui expriment cette constatation fondent en même temps l’explication. Dans le second cas, celui de la transformation radicale du sens d’un mot (jument, ferrielle du cheval, venant de jumentum, bête de somme), il est clair qu’aucune loi étymologique ne suffirait à rendre compte du changement qui s’est opéré pour ainsi dire brusquement, de la désuétude du féminin (equa = ive) de equus et du féminin (cavale) de cheval, et dé l’usage nouveau du mot ancien (jumentum). Le fait s’est produit sans raison apparente, contrairement à toute logique. L’explication qu’on essaiera d’en donner, pour hypothétique qu’elle soit, sortira nécessairement du domaine de la linguistique. « II faut absolument qu’une amnésie partielle ait atteint la majorité des sujets parlants. A un moment quelconque du temps, il faut supposer une inexplicable solution de continuité dans la transmission continue du langage parlé, pour qu’à l’encontre de toute tradition et de toute logique de semblables substitutions aient pu se produire ; et’cette solution de continuité implique la transformation biologique ou la mort de la portion de-substance cérébrale sur laquelle était empreinte