Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/218

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entre des influences contradictoires, a fait son choix, a adopté telle opinion ou telle résolution, plutôt que telle autre, c’est quand il a fait ainsi la paix en soi-même que la guerre devient possible entre lui et les individus qui ont fait un choix opposé. Mais, pour que la guerre éclate, cela ne suffit pas. Il faut en outre que cet individu sache que les autres individus ont choisi le contraire de ce qu’il a choisi. Sans cela, l’opposition extérieure des contraires simultanés, aussi bien que successifs, serait comme n’existant pas et ne présenterait en rien les caractères d’une lutte extérieure, qui la rend réellement efficace. Pour qu’il y ait guerre religieuse, ou lutte religieuse, il faut que chaque fidèle d’un culte sache que les fidèles de tel autre culte nient précisément ce qu’il affirme, et il faut que cette négation — non pas adoptée imitativement, mais au contraire repoussée par lui — se juxtapose dans sa conscience à sa propre affirmation dont elle redouble l’intensité. Pour qu’il y ait concurrence économique, par exemple entre des candidats à l’achat d’une maison, il faut que chacun d’eux sache que sa volonté d’avoir cet immeuble est contrecarrée par ses compétiteurs, qui veulent qu’il ne l’ait pas. Et il veut d’autant plus l’avoir qu’il sait que ceux-ci ne veulent pas qu’il l’ait. Sans cette condition, la concurrence par elle-même est stérile, et les économistes ont eu le tort ici de ne pas distinguer assez nettement le cas ou il n’y a pas, chez les concurrents, conscience de leur concurrence, et la mesure très variable de cette conscience, les degrés infinis qui la séparent de l’inconscience complète.

Voila pourquoi j’avais raison de dire tout à l’heure qu’il faut chercher l’opposition sociale élémentaire, non pas, comme on pourrait le croire à première vue, dans le rapport de deux individus qui se contredisent ou se contrarient, mais bien dans les duels logiques et téléologiques, dans les combats singuliers de thèses et d’antithèses, de vouloir et de nouloirs, dont la conscience de l’individu social est le théâtre. On pourra, il est vrai, me demander: En quoi donc l’opposition simplement psychologique diffère-t-elle de l’opposition sociale ? Elle en diffère par sa cause et surtout par ses effets. Par sa cause : un solitaire reçoit de ses sens deux perceptions en apparence contradictoires, il hésite entre deux jugements sensitifs, l’un qui lui