Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/228

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sous la forme de rivalités entre associations, entre corporations, entre syndicats, et ainsi de suite ; mais on arrive ainsi, finalement, à des associations géantes qui, ne pouvant plus grandir, ne pourront, après s’être combattues, que s’associer.

Il est une troisième grande forme de la lutte sociale, la discussion. Sans doute, elle est impliquée dans les précédentes, mais, si la guerre et la concurrence sont des discussion, l’une est une discussion en actes meurtriers, l’autre en actes ruineux. Disons un mot de la discussion en paroles purement et simplement. Celle-ci aussi, quand elle évolue, — car il y a beaucoup de petites discussions privées qui n’évoluent pas et qui meurent sur place, fort heureusement — évolue comme il vient d’être dit, quoique ici le phénomène soit moins visible. C’est, ne l’oublions pas, quand la discussion mentale a pris fin entre deux idées contradictoires d’un même cerveau, que la discussion verbale est possible entre deux hommes qui ont résolu la question différemment. De même, si la discussion verbale, ou écrite, ou imprimée, entre groupes d’hommes, et entre groupes de plus en plus étendus, se substitue à la discussion verbale entre deux hommes, c’est à la condition qu’elle se soit terminée dans chacun de ces groupes par un accord relatif et momentané, par une sorte d’unanimité, morcelée d’abord en une multitude de petites coteries, de petits clans, de petites églises, de petites agoras, de petites écoles qui se combattent, et, enfin, après bien des polémiques, concentrée en un très petit nombre de grands partis, de grandes religions, de grands groupes parlementaires, de grandes écoles de philosophie ou d’art entre lesquels se livrent les suprêmes combats. N’est-ce pas ainsi que l’unanimité catholique s’est peu à peu établi ? N’est-ce pas, dans les deux ou trois premiers siècles de l’Église, par d’innombrables discussions très vives, parfois sanglantes, entre les fidèles de chaque église locale, qui finissaient par s’accorder en un petit credo, mais dont le credo, en désaccord sur quelques points avec celui d’églises voisines, donnait lieu à des colloques, à des conciles provinciaux, qui résolvaient ces difficultés, sauf à se contredire parfois entre eux et à transporter leurs querelles au sein de conciles nationaux ou oecuméniques ? L’unanimité politique de l’ancienne France, sous forme monarchique, s’était faite de même, et l’unanimité politique de la France nouvelle, en un sens démocratique, est en train de se faire pareillement. Ce que j’appellerais volontiers l’unanimité linguistique, c’est-à-dire l’unité de la langue nationale, à la suite de