Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/29

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Ainsi conçue, la sociologie devenait une sorte d’associationnisme anglais agrandi et extériorise, et perdait son originalité. Ce n’est point à cette psychologie intra-cérébrale précisément ou uniquement, c’est, avant tout, à la psychologie inter-cérébrale, à celle qui étudie la mise en rapports conscients de plusieurs individus, et d’abord de deux individus, qu’il convient de demander le fait social élémentaire, dont les groupements ou les combinaisons multiples constituent les phénomènes soi-disant simples, objets des sciences sociales particulières. Le contact d’un esprit avec un autre esprit est, en effet, dans la vie de chacun d’eux, un événement tout à fait à part, qui se détache vivement de l’ensemble de leurs contacts avec le reste de l’univers et donne lieu à des états d’âme des plus imprévus, des plus inexpliqués par la psychologie physiologique .

Ce rapport d’un sujet avec un objet qui lui-même est un sujet est non pas une perception qui ne ressemble en rien à la chose perçue et qui autorise par là le sceptique idéaliste à révoquer en doute la réalité de celle-ci, mais bien la sensation d’une chose sentante, la volition d’une chose voulante, la croyance en une chose croyante, en une personne, en un mot, ou la personne percevante se reflète et qu’elle ne saurait nier sans se nier elle-même. Cette conscience d’une conscience est l’inconcussum quid que cherchait Descartes et que le moi individuel ne lui a pu fournir. En outre, cette relation singulière est non pas une impulsion physique reçue ou donnée, un transport de force motrice du sujet à l’objet inanimé ou vice versa, suivant qu’il s’agit d’un état actif ou passif, mais une transmission de quelque chose d’intérieur, de mental, qui passe de l’un des deux sujets à l’autre sans être, chose étrange, perdu ni amoindri en rien pour le premier. Et qu’est-ce qui peut donc être transmis ainsi d’une âme à une âme par leur mise en rapport psychologique ? Est-ce leurs sensations, leurs états affectifs ? Non, cela est incommunicable, essentiellement. Tout ce que deux sujets peuvent se communiquer en ayant conscience de se le communiquer, de manière à se sentir par la plus unis et plus semblables, ce sont leurs notions et leurs volitions, leurs jugements et leurs desseins, formes qui peuvent rester les mêmes malgré la différence de leur contenu, produits de l’élaboration spirituelle qui s’exerce sur n’importe quels signes sensitifs presque indifféremment. Aussi ne diffère-t-elle pas sensiblement en passant d’un esprit du type visuel à un esprit du type acoustique ou moteur, si bien que les idées géométriques d’un