Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/355

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l’habitude de l’observation scientifique nous a rendu familier ce renversement de l’ordre rêvé par la pensée naissante. La loi de la répétition, donc, qu’il s’agisse de la répétition ondulatoire et gravitatoire du monde physique ou de la répétition héréditaire et habituelle du monde vivant, ou de la répétition imitative du monde social, est la tendance à passer par voie d’amplification progressive d’un infinitésimal relatif à un infini relatif. La loi de l’opposition n’est pas autre : elle consiste en une tendance à s’amplifier dans une sphère toujours grandissante, à partir d’un point vivant. Ce point, socialement, c’est le cerveau d’un individu, la cellule de ce cerveau ou se produit, par une interférence de rayons imitatifs venus du dehors, une contradiction de deux croyances ou de deux désirs. Telle est l’opposition sociale élémentaire, principe initial des plus sanglantes guerres, de même que la répétition sociale élémentaire est le fait individuel du premier imitateur, point de départ d’une immense contagion de mode. La loi de l’adaptation, enfin, est pareille: l’adaptation sociale élémentaire, c’est l’invention individuelle destinée à être imitée, c’est-à-dire l’interférence heureuse de deux imitations, dans un seul esprit d’abord ; et la tendance de cette harmonie tout intérieure à l’origine est non seulement de s’extérioriser en se répandant, mais encore de s’accoupler logiquement, grâce à cette diffusion imitative, avec quelque autre invention, et ainsi de suite, jusqu’à ce que, par des complications et des harmonisations successives d’harmonies, s’élèvent ces grandes œuvres collectives de l’esprit humain, une grammaire, une théologie, une encyclopédie, un corps de droit, une organisation naturelle ou artificielle du travail, une esthétique, une morale.

Ainsi, en résume, il est certain que tout vient de l’infinitésimal, et, ajoutons-le, il est probable que tout y retourne. C’est l’alpha et l’oméga. Tout ce qui constitue l’univers visible, accessible à nos observations, nous savons que tout cela procède de l’invisible et de l’impénétrable, d’un rien apparent, d’où sort toute réalité, inépuisablement. Si nous réfléchissons à ce phénomène étrange, nous nous étonnerons de la puissance du préjugé, à la fois populaire et scientifique, qui fait regarder par tout le monde, par un Spencer aussi bien que par le premier venu, l’infinitésimal comme insignifiant, c’est-à-dire homogène, neutre, sans rien de caractérisé ni de spirituel. Illusion indéracinable ! Et d’autant plus inexplicable que nous aussi, comme tout être, nous sommes destinés à rentrer prochainement, par la mort, dans cet infinitésimal d’où nous sommes sortis, dans cet infinitésimal si