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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

leur nature et comme de vive force. C’est donc de ce côté-là qu’il faut chercher l’être, l’éternel, le permanent. S’il y a quelque absolu, ce ne peut être que la Nature de la Pensée. Du moment que les esprits ne peuvent s’accorder que par le dedans, et parce qu’ils sont capables de suivre les mêmes raisonnements en partant des mêmes intuitions définies, il faut bien que toutes les pensées soient identiques au fond, c’est-à-dire qu’elles participent toutes à une nature pensante unique dont le vrai nom est raison. Il faut admettre cela ou n’admettre rien. Notre idée de la vérité implique l’idée d’une Nature pensante identique en tous ; et, comme l’idée de la vérité subsiste même après sa propre négation, puisque cette négation est alors conçue comme vraie, il faut admettre que rien n’est ni ne peut être plus certain que l’existence de la pensée absolue.

Mais ce n’est pas là une conclusion philosophique. Si la métaphysique se réduisait, comme on le croit trop souvent, à cette affirmation très vague, on serait vite métaphysicien et on ne le resterait pas longtemps. À vrai dire l’affirmation de la Pensée absolue, fondée sur l’analyse de l’idée de la Vérité, est plutôt l’introduction à une Métaphysique que la Métaphysique elle-même. Il s’agit de tirer de cette idée une méthode pour l’étude de la nature en général. Et nous arrivons à notre troisième idée directrice, l’idée de l’Analyse réflexive.

La Nature se présente à la connaissance instinctive comme un groupe d’objets variés et changeants dont les uns nous sont utiles et les autres nuisibles. La première application de la Pensée à ces objets consiste à les reconnaître d’aussi loin que possible soit par leurs caractères, soit par les caractères d’autres objets qui les accompagnent ou les précèdent. Cette recherche, qui est susceptible d’un perfectionnement indéfini, est improprement désignée sous le nom de science, et le vulgaire seul peut appeler savants ceux qui s’y livrent ; en réalité cette connaissance des faits, de leur apparition, de leur durée et des moyens que l’on a de les prévoir, est un art de vivre dont la fin n’est pas la vérité mais la sécurité.

Cet art de vivre est l’occasion d’une science, au sens véritable du mot, qui recherche déjà la nécessité, et qui réalise l’accord des esprits par des définitions simples et claires et des démonstrations rigoureuses ; on peut appeler cette science d’une manière générale la Mathématique, et la Mathématique, quoiqu’elle suppose les faits, est pourtant indépendante des faits. Par exemple il a fallu que Huyghens vit des phénomènes lumineux pour être conduit à expli-