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E. CHARTIER. — sur la mémoire.

Enfin il nous est impossible de penser à un événement quelconque sans penser en même temps à d’autres événements, contemporains du premier, desquels il dépend et qui dépendent de lui. Cette liaison est bien différente de la contiguïté, que nous étudierons tout à l’heure, car les événements ainsi unis par une relation réciproque peuvent n’être pas contigus. Par exemple, s’il m’arrive d’affirmer une liaison réciproque entre une crise commerciale et une crise industrielle dont les effets sont dispersés à la surface de la terre, ces deux idées n’en forment plus qu’une, puisque chacune d’elles est un élément constitutif de l’autre, mais les objets qu’elles représentent n’en demeureront pas moins séparés.

De ces considérations on peut aisément tirer trois lois de l’évocation : l’idée de la qualité évoque l’idée de l’être qui la possède ; l’idée de l’effet évoque l’idée de la cause, et réciproquement ; l’idée d’un événement évoque l’idée d’autres événements dont il dépend et qui dépendent de lui.

Modalité.

Nous ne pensons jamais le non-être absolu ; toute idée implique donc à quelque degré l’affirmation de l’être. Or un être, considéré seulement au point de vue de son existence et indépendamment de sa nature, peut être conçu soit comme seulement possible, soit comme étant de plus réel ; soit comme étant à la fois possible, réel et nécessaire.

L’idée d’un être quelconque implique toujours au moins l’idée que cet être est possible, c’est-à-dire l’idée d’un monde imaginaire dans lequel cet être puisse avoir une place. Ce minimum d’existence appartient nécessairement à l’objet de toute idée. C’est pourquoi même les images les plus extravagantes, et dont je sais le mieux qu’elles ne sont pas réelles, sont toujours, plus ou moins explicitement, accompagnées d’autres images qui forment avec elles un tout cohérent. Nous ne pouvons pas penser l’impossible, cela est évident. Si nous le pouvions, il pourrait arriver que l’idée de l’impossible n’en impliquât aucune autre, puisqu’aucune explication, au sens précis du mot, n’en pourrait par définition être exigée. Mais puisque nous ne pensons pas l’impossible, il faut bien que l’idée d’un objet possible enferme d’autres idées par lesquelles elle soit possible. C’est conformément à cette règle que sont construites les fictions. La