c’est de pouvoir être parcouru en sens direct et en sens inverse, le sens direct étant toujours le même ; c’est, en un mot d’impliquer un ordre d’antériorité et de postériorité qui ne saurait être interverti. Lorsque je me représente une succession d’images dans le temps, il m’est impossible de faire que le commencement soit la fin et la fin le commencement. Deux termes quelconques pris de cette série sont l’un antérieur et l’autre postérieur, et cela pour toujours, indépendamment de l’ordre dans lequel je les retrouve. Ce n’est donc pas par la position des images que le temps diffère de l’espace, mais uniquement par l’idée de la nécessité d’un ordre, c’est-à-dire de la vérité d’un ordre. L’ordre du temps ne s’impose pas comme un fait, puisque je puis le parcourir dans un sens ou dans l’autre ; il s’impose comme une nécessité. Le temps ne résulte donc pas d’une liaison de fait entre des images, mais d’un enchaînement nécessaire d’images.
Pour que le temps soit constitué, il ne suffit donc pas qu’une image se présente avant ou après une autre, car elle pourrait également se présenter après l’autre ou avant l’autre ; il faut encore qu’il y ait une raison pour que l’une des deux soit quand même et malgré tout avant l’autre. L’idée du temps c’est l’idée de l’ordre vrai suivant lequel les images se précèdent ou se suivent les unes les autres. Le Temps est donc une construction rationnelle.
Il y a des cas où la nécessité de l’ordre du temps est aisée à expliquer, par exemple lorsqu’il s’agit de propositions géométriques ; en effet on ne peut sans absurdité supposer qu’une propriété du triangle soit démontrée avant la définition du triangle, et chaque proposition suppose avant elle celles sans lesquelles elle n’aurait pas de sens. L’acte de comprendre une proposition est donc nécessairement postérieur à l’acte d’en comprendre une autre. Qu’il en soit de même pour des souvenirs quelconques, il le faut bien, puisque l’ordre du Temps ne saurait être que nécessaire. Il faut donc qu’il y ait une raison pour qu’une image ne puisse pas être conçue comme antérieure à une autre. Supposons que l’évocation nous fasse penser successivement à l’obtention du grade de caporal et à l’acte de s’engager ; immédiatement, et en dépit de l’ordre de l’évocation, apparaît un ordre irréversible entre ces deux images, car il est impossible d’être nommé caporal avant d’avoir fait partie de l’armée. De même si je pense successivement au règlement d’un héritage et à la mort du parent dont j’ai hérité, l’ordre de l’évocation m’apparaît comme un