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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

en effet une distance. Quand je dis qu’un point est éloigné d’un autre point, cette affirmation détermine à la fois un espace qui les sépare et un temps nécessaire pour aller de l’un à l’autre. Toute distance peut être conçue comme une durée, et inversement la conception la plus abstraite de la durée suppose toujours la représentation d’une ligne parcourue par un mobile ; on dit : la longueur du temps.

Ce qui caractérise le temps, c’est un ordre irréversible. Comment donc le sens d’un mouvement d’un point à un autre peut-il être déterminé absolument ? comment les dimensions de l’espace acquièrent-elles cette propriété nouvelle de ne pouvoir plus être parcourues que dans un sens ? Comment l’espace devient-il temps ? Pour le savoir il faut étudier cette détermination au moment même où elle se fait.

Or il est évident que la conception du temps à venir précède les choses mêmes que le temps renferme ; l’avenir, par définition, est déterminé avant d’être ; et comme le temps, conception et non fait, est déterminé avant d’être, c’est dans la formation de la notion d’avenir que nous pourrons saisir la manière dont se détermine le temps en général. Il importe en effet de ne pas oublier que le temps n’est rien autre chose qu’une manière de juger, qu’une manière méthodique de ranger des images évoquées ; que par suite le temps ne peut commencer à exister qu’après qu’un jugement l’a déterminé ; nous le construisons d’abord, il existe ensuite, et par conséquent l’idée primitive et naturelle du temps, c’est l’idée d’un temps qui n’est que conçu, et qui sera ; nous avons donc l’idée d’avenir avant d’avoir l’idée de passé ; le passé c’est l’avenir réalisé ; il n’est passé que parce qu’il a d’abord été à venir.

Examinons donc comment une dimension de l’espace peut représenter un temps à venir. Étant à Paris, je me représente des lieux déterminés : Rennes, Orléans, Lille, et la distance qui sépare chacun d’eux, de Paris ; mais ces trois distances ne font pas pour moi partie de l’avenir, car il n’y a entre elles aucun ordre d’antériorité et de postériorité : ce ne sont que des dimensions de l’espace. Mais si je me représente une des dimensions comme devant être parcourue par moi de préférence aux autres, si par exemple je veux aller à Rennes, alors la dimension Paris-Rennes exclut les autres, se place non plus seulement à côté d’elles, mais avant elles, et ainsi se détermine comme la représentation d’un temps à venir. Les choses ne sont point par elles-mêmes les unes avant les autres ; mais celles