Aller au contenu

Page:Revue de métaphysique et de morale, 1899.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
321
E. CHARTIER. — sur la mémoire.

Mais pourtant, lorsque l’on ne fait rien, on dit que l’on perd le temps, que le temps passe. Il y a donc, en dehors de nous, dans le monde de l’espace, un temps réel qui poursuit sa marche régulière, et, comme on dit, qui nous emporte avec lui. Ceux qui avaient dormi à Sardes furent bien forcés de reconnaître que, pendant leur sommeil, le temps avait passé. D’où vient cette idée d’un temps vrai, extérieur à nous et indépendant de nous ?

Pour que nous ayons l’idée de l’avenir, qui est, ainsi qu’il a été expliqué, la première idée que nous avons du temps, il faut que nous affirmions comme devant être pour nous un certain événement qui est maintenant loin de nous. Le temps n’est ainsi rien autre chose que l’écart entre notre volonté et le réel. Or ce temps, nous l’épuisons, ou, en un autre sens, nous le réalisons, au moyen de mouvements ; et ainsi, tout mouvement nous apparaît naturellement comme correspondant à un temps, lorsqu’il avance la réalisation de notre vouloir. Mais il est clair que nous ne pouvons pas toujours agir, et que souvent, au lieu de marcher, nous attendons ; par exemple, j’attends le train au lieu d’aller vers lui ; l’effet du mouvement du train est le même que serait l’effet de mon mouvement propre en sens inverse ; tout mouvement attendu, est donc conçu comme exigeant un temps ; et, comme tout mouvement peut toujours être conçu comme attendu par quelqu’un, nous en venons naturellement à faire du temps une condition du mouvement en général et à poser en principe qu’aucun mouvement ne peut se faire dans un temps nul, c’est-à-dire sans correspondre à une attente possible. Il est à remarquer que cette conception du mouvement est tout à fait rigoureuse et scientifique, le mouvement n’étant, à proprement parler, rien autre chose que le changement qui dure un temps, c’est-à-dire qui n’est pas instantané, autrement dit le changement que l’on attend.

Le temps étant ainsi conçu comme inséparable du mouvement, devient alors indépendant de nous comme le mouvement lui-même ; quand nous disons que le temps marche, nous voulons dire qu’il y a, indépendamment de notre action, des mouvements qui ne s’arrêtent point.

Mais comment mesurer avec précision et certitude ce temps objectif ? Où prendre l’unité de temps, puisqu’il faut, pour mesurer le temps, un mouvement uniforme, et que l’on ne peut savoir qu’un mouvement est uniforme si l’on n’a d’abord une unité de temps ? Il