Page:Revue de métaphysique et de morale, 1935.djvu/16

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proques, au milieu desquelles les cultes et les Églises se débattent depuis des milliers et des milliers d’années, accusations d’athéisme et d’infidélité, de schisme et d’hérésie ? Les traditions nationales et les nécessités économiques ne nous fournissent que trop d’occasions, de prétextes ou, si l’on veut, de motifs pour nous diviser et nous haïr. Mettons du moins à l’abri notre vie religieuse. C’est une espérance que nous nous sauvions les uns par les autres ; c’est une certitude que nous ne nous sauverons pas les uns contre les autres. Il importe donc que nous regardions en face nos préjugés que nous osions enfin percer le coin d’ombre qui dérobe aux hommes l’humanité. La seule voie qu’elle n’ait pas tentée encore, c’est de donner raison à la raison, pour qui, selon la parole de Kant, en dépit de la diversité des croyances, il n’y a qu’une religion. Or, la religion, pour être tout entière unité, doit être tout entière spiritualité.

Le vœu ardent du philosophe qui n’est que philosophe devrait-il rester un souhait pieux, ce serait, en tout cas, le plus pieux des souhaits et nous voudrions qu’on nous permit d’ajouter : celui qui répond le plus directement au courant de ferveur religieuse qui s’est développé en Europe sous l’influence dominante de la Bible et de l’Évangile. Nous n’avons pas à trancher sommairement la question de leurs rapports. La richesse et la complexité des textes rendent plausibles bien des interprétations qui demeurent vénérables dans la mesure où elles ont témoigné de leur efficacité morale. Il est certain, cependant, qu’on ne serait pas équitable envers l’Ancien Testament si l’on ne discernait dans la succession de ses livres l’élan de pureté spirituelle qui prépare ce que le Nouveau appellera l’accomplissement de la loi. Et pas davantage on ne serait équitable envers ce Nouveau Testament si l’on ne replaçait au centre la doctrine qui veut que cet accomplissement de la loi mette fin à son règne de « malédiction » et de « pédagogie ». La libération totale de la conscience religieuse à l’égard de son propre passé apparaît désormais comme une marque, non d’ingratitude, mais de fidélité. Le moment tragique, dans la vie du chrétien, est celui où il lui arriverait de reprendre vis-à-vis du Nouveau Testament cette même attitude de particularisme dogmatique, de soumission matérielle, qu’il reprochait aux Juifs d’avoir eue à l’égard de l’Ancien. Et n’est-ce pas parce que Jésus a franchement rompu l’attache de la tradition confor-