Page:Revue de métaphysique et de morale, 1935.djvu/20

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rappeler, et des signes « disponibles », c’est-à-dire au service de la volonté et toujours prêts à répondre à son appel ? Oui, et ce sont « tous les mouvements volontaires, associés par la nature même, et dès l’origine, aux impressions sensibles qu’ils servent à distinguer, à fixer, à rappeler : là est le premier fondement de la mémoire ». Il y a bien une autre espèce de signes, évocateurs aussi d’images — mais non de représentation ou d’idées — auxquels Maine de Biran refuse le nom de souvenirs ; c’est celle qui « se forme de toutes les impressions quelconques, associées, par l’habitude, en un même faisceau, en une même série et dont chacune, en se renouvelant, a le pouvoir de reproduire toutes les autres : là est le premier mobile de l’imagination ». Qu’est-ce donc qui distingue l’imagination de la mémoire ? Ce ne sont pas les signes, mais le pouvoir de « disposer » des signes qu’elle a à son service. L’imagination n’a que des « signes passifs », tandis que la mémoire a des « signes volontaires de rappel ».

Dès lors demander s’il y a une mémoire des états affectifs, c’est demander si l’on peut se « rappeler » volontairement de tels états, ou seulement les « imaginer ». Les signes ne font pas défaut pour exprimer les sentiments : « il y a des inflexions » qui sont les « signes naturels du plaisir, de la douleur, de la surprise, de la crainte, de l’admiration », et « ces inflexions, qui sont comme le cri de l’âme » peuvent s’appliquer par extension aux « objets propres à faire naître les sentiments qu’elles expriment » : on conçoit fort bien un langage qui désignerait les objets en les classant suivant « des rapports d’analogie sentimentale ». Or, si un tel langage est possible, l’homme a dû chercher à l’acquérir. Il n’a pu manquer, en effet, de lui apparaître comme infiniment désirable, quand ce ne serait que comme condition du souvenir ; et s’il ne s’en est pas avisé d’abord, s’il a commencé par donner des noms aux choses, il a bientôt senti combien il lui serait précieux d’en pouvoir donner aussi à ses sentiments.

Ayant « fait l’épreuve du pouvoir des signes pour rappeler et fixer plusieurs impressions qui lui échappaient, comment ne tenterait-il pas surtout de soumettre au même pouvoir ces sensations, ces modifications affectives qui fuient si vite et qu’il serait si heureux de retenir, de raviver à son gré » ?

Ainsi se trouve nettement posé le problème de la mémoire affective. Mais sera-t-il résolu, et pourra-t-il l’être ? Comment, jusqu’à quel point et dans quelle mesure ?