Aller au contenu

Page:Revue de métaphysique et de morale, 1935.djvu/6

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vérité. Une même règle de désintéressement et d’impartialité ne s’impose-t-elle pas au philosophe en tant que philosophe ? Nous ne prétendons pas qu’entre les deux conceptions, l’une positiviste et l’autre idéaliste, de la religion l’on tranche ex abrupto ; nous demandons seulement qu’on prenne garde à ne pas les confondre, qu’on s’attache franchement soit à l’une soit à l’autre dans un respect mutuel de leurs exigences intimes. Chacun doit parler sa langue, ne fût-ce que pour s’entendre clairement avec soi-même. Or je n’ai pas à démontrer que la philosophie, dans la mesure où elle s’efforce d’éviter « prévention » et « précipitation », a pour instrument la raison. Ceux qui inventent une « faculté » autre que la raison pour se donner raison contre la raison, outre qu’ils matérialisent l’esprit en le supposant divisé comme un corps, font involontairement l’aveu de leur impuissance à se justifier devant leur propre jugement. Seulement, il convient de prendre garde que, si la raison a répondu à l’appel de la philosophie, c’est en des sens divers et successifs.

La raison s’est d’abord manifestée par sa puissance démonstrative, par sa capacité de créer une sorte d’organisme mental où les principes engendrent les conséquences grâce à la force contraignante de la déduction ; ce travail s’accomplit à l’intérieur d’une discipline particulière ou d’une doctrine générale, pour lui donner la consistance d’un système.

Cette première position du rationalisme se caractérise à merveille par la fameuse parole de Chrysippe à Cléanthe : « Je n’ai besoin que d’apprendre de toi les dogmes, je trouverai moi-même les démonstrations ». Or il est visible qu’un tel exemple est à double fin. Contemporain et rival du stoïcisme, l’épicurisme n’est pas moins cohérent. Dans les deux Écoles les conclusions dérivent des principes avec une rigueur inéluctable, suivant l’intuition initiale qui est, ici, celle de l’atome élémentaire, de la partie absolue, là, celle du plein et du continu, de l’unité totale du monde. La raison, en tant qu’elle demeure raisonnable, refusera donc de se laisser prendre au piège d’exposés qui sont rationnels, mais en apparence seulement, qui n’ont perfectionné la technique de la démonstration que pour mieux mettre en évidence la pétition gratuite des principes sur lesquels repose cette soi-disant démonstration. Non seulement l’histoire témoigne que le jeu des dogmatismes contraires tourne au profit du scepticisme, mais