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éléments simples, de façon à en former des composés dont la structure soit de plus en plus compliquée… » (p 108). On cherchera à reconstruire les faits mathématiques à partir des éléments simples.

Laplace, un siècle et demi plus tard, caractérisera la conception que M. Boutroux appelle la synthèse algébrico-logique. « Il suffit de traduire dans cette langue universelle (l’algèbre) les vérités particulières pour voir sortir de leurs seules expressions une foule de vérités nouvelles inattendues… » (p. 143). Les grandeurs et les opérations sont-elles les seuls éléments que l’on puisse grouper et combiner ? On peut également prendre les axiomes comme objets de combinaisons. L’axiomatique de David Hilbert, par exemple, cherchera « à construire d’édifice mathématique en partant de postulats aussi simples et aussi peu nombreux que possible. » Enfin, il faut voir dans « l’algèbre logique, l’aboutissement tardif du grand mouvement de pensée qui, préparé par les premiers algébristes, affermi par Descartes, s’est développé au cours du XVIIIe siècle ». Malheureusement la science universelle, n’a jamais existé qu’à l’état de projet. La théorie des fonctions et la physique posent une infinité de problèmes pour lesquels les méthodes générales de l’algèbre sont inefficaces. Par exemple le problème du prolongement d’une fonction « ne constitue pas un problème déterminé. On ne peut le résoudre qu’en particularisant la question… La notion de fonction est un indéfini, un indéterminé. L’idée que nous en avons est plus riche et plus pleine que toutes les définitions ou expressions que nous pouvons donner ou construire… Pour acquérir sur les fonctions des connaissances neuves et fécondes, il est indispensable de retoucher sans cesse les définitions et les principes sur lesquels on opère (p. 167). Ces progrès ne sauraient être regardés comme étant d’ordre logique ». Quand les savants « arrivent à la vérité, a dit Galois, c’est en heurtant de côté et d’autre qu’ils y sont tombés ». Les conceptions algébriques devaient conduire au nominalisme, « mais les raisons qui nous ont fait renoncer à considérer la mathématique comme un vaste système algébrico-logique doivent également nous empêcher d’y voir une construction conventionnelle, une simple création de l’esprit humain… La doctrine nominaliste ne saurait expliquer l’opposition que nous avons relevée entre l’objet des recherches du mathématicien et les méthodes dont il fait usage » (p. 199). Et M. Boutroux, ayant écarté à juste titre l’explication nominaliste, aboutit à la conclusion suivante : « Afin de rendre compte de cette résistance opposée par la matière mathématique à la volonté du savant, nous sommes obligés de supposer l’existence de faits mathématiques indépendants de la construction scientifique ; nous sommes forcés d’attribuer une objectivité véritable aux notions mathématiques. L’expression d’un fait mathématique est arbitraire, conventionnelle. Par contre, le fait lui-même, c’est-à-dire la vérité qu’il contient, s’impose à notre esprit en dehors de toute convention. Ainsi, l’on ne pourrait pas rendre compte du développement des théories mathématiques si l’on voulait voir dans les formules algébriques et dans les combinaisons logiques les objets mêmes dont le mathématicien poursuit l’étude. Au contraire, tous les caractères de ces théories s’expliquent aisément si l’on admet que l’algèbre et les propositions logiques ne sont que le langage dans lequel on traduit un ensemble de notions et de faits objectifs » (p. 203). Aussi la synthèse algébrico-logique sera-t-elle reléguée au second plan. « Après avoir été depuis le XVe siècle, — du moins, après avoir été surtout, — un constructeur, un généralisateur, le mathématicien est devenu une sorte de scrutateur qui analyse à la manière d’un chimiste une matière étrangère infiniment complexe. » Telle est l’idée qu’il faut se faire du mathématicien moderne. Nous n’avons pu, en ces quelques lignes, que dégager les idées principales de cet excellent ouvrage ; le détail du livre a forcément échappé à notre brève analyse. Et cependant, à mille signes, au choix des exemples, à la rédaction, on reconnaît que l’auteur est un mathématicien. Il n’existe pas, en effet, d’école Berlitz pour l’analyse mathématique, et l’on distingue vite, en ces matières, ceux dont la documentation est superficielle et hâtive de ceux dont la pensée, comme celle de M. Pierre Boutroux, s’est développée au contact des réalités scientifiques. Cette constatation explique la valeur particulière du livre que nous venons d’analyser.

Les paralogismes du rationalisme, Essai sur la théorie de la connaissance, par L. Rougier, 1 vol. in-8 de XIV-539 p., Paris, Alcan, 1920. — Dans cette importante contribution à la critique du rationalisme, M. L. Rougier entreprend de réfuter l’apriorisme des principes rationnels, non par les arguments classiques de l’empirisme sceptique, ni par la théorie psychologique de