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point de vue logique, les paralogismes du rationalisme ; il importe, en outre, de dénoncer l’illusion commune à toute son argumentation : le réalisme, qui se montre grossièrement à nu dans l’argument ontologique qui domine la philosophie antique, qui persiste de nos jours dans la théorie du cantorisme, après avoir régné durant tout le moyen âge avec Aristote, et qui aboutit finalement, au panlogisme hégélien et aux rêveries magico-poétiques de Novalis. Cette critique du réalisme forme la seconde partie du livre de M. Rougier. L’idée directrice qui le conduit est au demeurant la même ici qu’au cours de la première partie : la généralisation du conventionalisme de Poincaré et son application à la théorie de la connaissance de même qu’à la critique des sciences particulières.

La place nous manque pour discuter, comme elle le mérite, sa tentative. L’originalité de la méthode consiste essentiellement à faire état des derniers travaux du grand géomètre et à profiter de l’analyse logistique. Certains points sont traités sommairement. Le « réalisme » des mathématiciens nous semble imparfaitement réfuté. On ne s’en débarrasse pas en quelques mots. Au surplus, le conventionalisime de Poincaré n’est pas aussi absolu que son commentateur voudrait le faire croire. Il y avait, pour Poincaré, des nécessites intuitives, nullement conventionnelles, et sa philosophie géométrique paraissait rejoindre, après maints détours et maints scrupules d’une conscience scientifique aussi loyale qu’avertie, la doctrine de Kant, si malmenée par les logisticiens se réclamant bruyamment de Leibniz. Si l’intuitionisme géométrique renferme encore une part de vérité, et si le « réalisme » des algébristes a un fondement plus solide, des assises plus profondes que ne le suppose M. Rougier, la théorie de la science et la métaphysique de la connaissance ne sont pas aussi sommairement justiciables de cet empirisme nouveau qu’on nous l’affirme. Le procès n’est pas terminé, et le débat n’est pas clos par un mélange de conclusions pragmatistes et de discussions de pure logique. La « phénoménalité » de la science nous met en présence d’une réalité, d’un donné, qui résistent à la pure analyse logique au moins autant que la réalité psychologique et que le donné brut de la sensation.

Au demeurant, et même en accordant à l’auteur le droit de réfuter les thèses rationalistes telles qu’il les entend, ne voit-on pas qu’à moins de revenir à l’empirisme grossier il restaure, avec d’autres mots et avec une façade nouvelle, la vieille bâtisse de la Raison, où la philosophie s’est abritée de tout temps ? Que sont, en effet, les « conventions » dont il parle, et qu’il met à la base des diverses disciplines scientifiques ? Ce ne sont point, autant du moins que nous l’avons compris, des décrets arbitraires, des choix sans motifs, des décisions individuelles et capricieuses, dessinant et arrêtant, par un acte souverain, les contours du moule où se coulera la science. Les conventions adoptées et durables sont l’expression d’une adaptation réciproque de l’esprit aux choses et des choses à l’esprit. Elles expriment que la science ne s’impose pas du dehors, et qu’elle requiert d’abord un choix de l’entendement ; mais elles expriment aussi une nécessité de régulation qui ne dépend pas du savant ni de ses propres préférences, ni de son imagination individuelle. La convention n’a chance de durer et d’être féconde qu’autant qu’elle subit l’épreuve du temps, de la collectivité et de la collaboration des esprits, en un mot de l’expérience. Ce que les anciens philosophes dénommaient Raison ne nous paraît pas sensiblement différent de cette faculté humaine de poser des conventions et de s’y tenir dans la mesure où l’expérience y acquiert une signification de plus en plus large et plus haute. Le conventionalisme de M. Rougier ne serait-il qu’un nom nouveau donné au rationalisme lui-même, aussi ancien que la philosophie et destiné vraisemblablement à durer aussi longtemps qu’elle ?

La philosophie géométrique de Henri Poincaré, par Louis Rougier, 1 vol. in-8 de 208 p., Paris, Alcan, 1920. — Cet intéressant travail a pour objet d’exposer le « conventionalisme » géométrique de Poincaré, en se bornant, toutefois, à l’interprétation qui en résulte pour la géométrie métrique et l’axiome des trois dimensions. Dans une première partie, qui forme à elle seule plus de la moitié de l’ouvrage, l’auteur résume les analyses par lesquelles ont été différenciées, classées et ordonnées les notions fondamentales de la géométrie considérée comme système hypothéticodéductif ; il fait ensuite l’histoire des géométries euclidiennes, relate les travaux d’Helmholtz et expose les principes de la théorie des groupes. La seconde partie traite des idées propres de Poincaré et se termine par la conclusion suivante : Les propositions géométriques, citées par les