Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 2, 1910.djvu/4

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mettre, dont elle puisse, en s’y adaptant, définir et expliquer la nature.

Dira-t-on que, de ces êtres, elle rend précisément compte par ses explications, et que, si elle ne peut parvenir à les expliquer entièrement, elle approche, du moins, de plus en plus du but ?

Elle les décompose, il est vrai, et les réduit de plus en plus à de la poussière d’être. Mais leur nature et la cause de leur existence sous leur forme actuelle n’en deviennent par là que plus incompréhensibles. Et si, par impossible, la science, œuvre de dissolution, achevait sa tâche, elle n’aurait pas explique l’être : elle l’aurait supprimé. L’atomisme classique était, pour fonder l’être scientifiquement, la base indispensable. Sans doute c’était encore le hasard, mais réduit à son minimum. Sa part lui était faite une fois pour toutes. En renonçant à l’atomisme, la science s’engage dans une régression indéfinie dont la limite est le néant.

L’être qui est donné et la science et l’être qu’elle imagine pour l’expliquer ne sauraient coïncider, car l’un est, et l’autre ne peut parvenir à être. Ce n’est que dans le monde réel qu’Achille rattrape la tortue.

La science suppose, en second lieu, que le monde qui lui est offert présente un ordre d’un certain genre, est réductible a des lois dites naturelles. Ici encore la science, dans l’être même des choses, Suppose le hasard, qu’elle s’applique ensuite à éliminer.

Il faut, pour que la science soit possible, que les phénomènes se laissent répartir en classes, composées de phénomènes sensiblement semblables, et que, de même, certaines coexistences et successions de ces phénomènes se reproduisent d’une manière sensiblement uniforme. Il faut, en outre, que, sous les différences qui tout d’abord nous frappent, on puisse découvrir des ressemblances qui permettent de ramener certaines classes de phénomènes a d’autres, et de tendre ainsi à réduire indéfiniment la diversité et la multiplicité des lois.

Dira-t-on que le progrès même de la science prouve, par le fait, que la nature est, en elle-même, ordonnée, et qu’il n’est pas besoin d’autre preuve pour nier l’existence du hasard ?

Mais l’effort de la science est, en définitive, d’arriver supprimer ce qu’on appelle proprement les lois de la nature, mélange mal défini de rapports qualitatifs et de rapports quantitatifs, pour y substituer des rapports purement quantitatifs, lesquels, finalement, se ramenant à la répétition indéfinie d’une même quantité donnée, feraient