Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 2, 1910.djvu/9

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une exigence de l’ordre. Qu’est-ce que l’ordre ? Si l’on envisage les œuvres les plus directes et immédiates de l’esprit, les discours, les, règles morales, les lois politiques, les compositions littéraires et artistiques, on constate que l’esprit cherche à établir, soit entre les hommes, soit entre les choses, soit entre les uns et les autres, des rapports souples et perfectibles qui en respectent la réalité propre, et en harmonisent les caractères. C’est la règle imposée à l’homme libre, disait Aristote, qui le fait libre et supérieur, à l’esclave, lequel ne relève que de lui-même dans la plupart de ses actions. La μέθεξις platonicienne, la généreuse action du νούς chez Aristote, respectant et accomplissant ce qui, pour chaque chose, est sa perfection propre, expriment fidèlement l’essence et la beauté de l’ordre libéral et délicat que poursuit l’intelligence.

Or cet ordre même ne peut-il être considéré comme le principe vivant dont dérive l’ordre donné des choses ? C’est lui pourrait-on dire, qui est l’âme de cette évolution grâce à laquelle, de faits et d’êtres infiniment divers, se forment des lois et des espèces, Et c’est lui encore qui donne sa base nécessaire cette uniformité et homogénéité mathématique et idéale où tend l’intelligence, en s’isolant, autant qu’il lui est possible, des autres puissances de la conscience.

Enfin la vie consciente présente un troisième caractère : l’idée d’une nouveauté perpétuelle, se détachant sur le fond relativement fixe de la nature. La persistance de notre moi n’est pas la continuation inerte d’un mouvement donné, c’est une création de tous les instants. Nous n’existons vraiment comme hommes, qu’en nous retrempant constamment dans le fond de notre être, en y puisant sans cesse une jeunesse nouvelle, en nous recommençant perpétuellement.

Nur rastlos bethätigt sich der Mann.

La puissance créatrice de l’homme se manifeste excellemment dans le génie, dont on ne peut réduire les œuvres aux éléments fournis par les circonstances, que lorsque, en partant de ces œuvres mêmes, on choisit, après coup, parmi ces éléments et parmi leurs modes d’organisation possibles, ceux là mêmes que, dans son initiative, a élus le génie.

La création humaine est manifestée par l’histoire, dont le ressort ne se trouve pas seulement dans les conditions d’existence des