D’ailleurs, il ne s’agit pas de se quereller sur des responsabilités ; il s’agit d’obtenir des résultats.
En réalité nous ne pouvons rien dans ce domaine les uns sans les autres, puisque c’est l’opinion publique elle-même qui est peut-être à transformer. Si, dans le domaine du savoir et des techniques, les hommes peuvent dans une large mesure se remplacer les uns les autres, il en est tout autrement dans le domaine du vouloir et de la conscience. Personne ne peut demander à autrui d’être moral à sa place, ni s’en charger lui-même à la place d’autrui. Mais il est aussi dans la nature des choses que tous le soient ensemble, et, si possible, également, puisque l’imperfection morale des uns paralyse ou rend inefficace la bonne volonté des autres.
Il y a donc quelque chose de juste dans la pensée dont je parlais tout à l’heure et selon laquelle la conscience est à la fois une faculté intime, personnelle, qui appartient en propre à chacun, et une faculté universelle, qui doit être présente chez tous et, en un sens, être égale chez tous. Mais on a trop facilement confondu ce qui est désirable et ce qui est ; on a trop naïvement supposé que ce qui doit être est déjà réalisé. On se figure, par une sorte de pragmatisme instinctif, que puisqu’il faut que tous les hommes aient une conscience, ils l’ont d’emblée comme un « instinct divin » ; ou encore on pensera qu’il suffit de vouloir être honnête homme, pour l’être en effet, comme si l’on pouvait, de science infuse, savoir ce que, dans chaque condition, dans chaque circonstance de la vie, cette volonté d’être honnête nous commandera de faire. De pareilles suppositions ne deviennent à peu près soutenables que parce qu’on fait précisément abstraction des devoirs réels pour se limiter, sans sortir du for intérieur, à la bonne volonté seule.
Loin de moi, certes, la pensée de faire fi de cette bonne volonté, qui est une condition nécessaire de toute moralité. Mais ce qui semble acquis, c’est qu’elle est loin de suffire ; que même, pratiquement, il est vain de la requérir, si l’on ne nous donne aucun moyen de la susciter, et que le seul moyen de la susciter c’est précisément de lui fournir un aliment, de lui proposer un but. L’éducation morale, au sens large que j’indiquais tout à l’heure, est en grande partie solidaire d’une instruction sociale qui nous fait grandement défaut. En dehors de là, il y a sans doute des procédés pratiques de dressage qui sont particulièrement nécessaires quand il faut agir sur l’enfant ; auprès de lui, en effet, les raisons tirées de l’expérience