Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 3, 1912.djvu/116

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siècle, ce jeu d’oligarchies rivales qui donne au peuple seulement la comédie de la souveraineté. J’ajoute que l’école des constitutionnels anglais a été une grande déviation pour notre pays.

Rousseau se rendait compte que la pratique de la souveraineté populaire, comme il l’entendait, avec là ratification constante des lois, était difficile. Il admettait qu’elle n’était pleinement praticable que dans un État très petit, et où les citoyens pouvaient disposer d’une grande somme de loisirs. Telles étaient les Républiques antiques : « Tout ce que le peuple avait à faire, il le faisait par lui-même ; il était sans cesse assemblé sur la place ; il habitait un climat doux ; il n’était pas avide ; des esclaves faisaient ses travaux. Sa grande affaire était sa liberté . »

Messieurs, je ne crois pas, pour ma part, que le problème dans ce qu’il a d’essentiel, c’est-à-dire la participation effective du véritable souverain à l’exercice de la souveraineté, soit insoluble. Ce n’est pas le lieu de discuter sur les moyens de le réaliser. Je voulais seulement vous montrer que Rousseau avait prévu les deux périls qui menacent actuellement notre démocratie : la nation française gouverne trop et ne légifère pas assez. Ce peuple intervient constamment par ses représentants dans la pratique du pouvoir exécutif ; il pèse sur les administrations publiques, faussant leur droiture ; et il est incapable de suivre, de diriger l’élaboration des lois. Dans ces conditions, l’exercice intermittent du pouvoir pourrait livrer la démocratie française à toutes les oligarchies, surtout à l’oligarchie d’argent.

Messieurs, je m’étais proposé, et je vois que cette tâche dépasse mon temps, d’entrer aussi dans le détail des idées sociales de Jean-Jacques. Je vois, à mon grand regret, qu’il m’y faut renoncer pour ce soir, je me bornerai à vous dire que si Jean-Jacques a formulé un système précis d’organisation politique qui contient, rigoureusement exprimés, tous les traits d’une constitution immédiatement applicable, il n’a pas indiqué par quel mécanisme, par quelles mesures pratiques, il comptait faire pénétrer dans les rapports des citoyens plus d’équité, plus de justice. Le problème qu’il s’est posé n’était pas avant tout un problème de propriété, mais bien de souveraineté. Nous pouvons dire qu’aujourd’hui la question de souveraineté est résolue selon le droit ; c’est celle de propriété qui reste à résoudre.

Mais si l’on ne trouve pas dans Jean-Jacques de solution précise, on peut y chercher une inspiration supérieure de justice. Lorsqu’on dit