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E. GILSON. — LA RELIGION ET LA FOI.

s’agisse d’une secte ou d’une église, le groupe social apparaît toujours au croyant comme garantissant sa foi et comme étant lui-même objet de foi : « La foi de l’Église suscite la foi dans l’Église ; c’est ainsi que les Églises sont logiquement amenées à renforcer, à rendre plus visible leur authenticité, et aussi à exalter leur caractère sacré ». La foi s’extériorise en quelque sorte dans un culte qui répond au triple besoin de commémorer le passé religieux, d’intégrer la force sacrée à une matière qui la véhicule, d’entretenir la croyance religieuse par l’exercice en commun des actes qui la confessent ; de là les rites, la liturgie, les sacrements, la prière et, en un mot, tout l’appareil extérieur de la religion. Cette foi implicite est celle d’un grand nombre de fidèles et, bien qu’elle ne se prête pas à des justifications très complexes en raison de sa passivité même, elle se rencontre cependant jusque chez des âmes supérieures où elle accompagne et soutient même les formes supérieures de la foi. De l’acceptation pure et simple elle peut, en effet, s’élever à l’acceptation réfléchie et à la volonté de suivre une tradition précisément parce qu’elle est une tradition. On en trouverait aisément d’illustres exemples au pays de Montaigne et de Descartes, où chacun suit volontiers la « religion de sa nourrice » ; M. H. Delacroix a préféré, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, rappeler les lignes magnifiques où le Patrice de Renan définit cette attitude : « Quand le catholicisme se pose comme la forme religieuse de la société où je suis né, comme la forme religieuse, sinon la plus parfaite, du moins la plus appropriée à cette société ; considérant, d’une part, que la religion est un élément nécessaire de toute société, de l’autre, que la religion ne se conçoit pas pour un peuple sans une forme particulière et plus ou moins étroite d’une autre, enfin, que le catholicisme est cette forme, je suis ramené à pouvoir me dire catholique, non pas que je cède un seul des droits imprescriptibles de la science, mais parce que je ne veux pas m’isoler de la société où le sort m’a fait naître et qu’après tout nos pères ont ainsi adoré ».

À partir du moment où la foi cesse de se prendre ou de se rejeter en bloc pour tenter une justification rationnelle de son contenu, elle devient, de foi implicite, foi raisonnante, et à partir de ce moment aussi elle entre dans une période d’incertitude et d’instabilité. La foi qui raisonne est, en effet, condamnée à demeurer un compromis entre deux attitudes hétérogènes et soit à retomber dans la foi