Si nous définissons l’existence, selon l’analyse de BerkeIey, en termes de prévision, les jugements-croyances contenant toujours quelque anticipation de l’avenir, quelque prévision, sont susceptibles d’être vérifiés selon que se produisent, ou non, les conséquences attendues (doctrine déjà esquissée dans le Théétète).
Si M. Russell a répugné à introduire cette doctrine, c’est sans doute qu’elle lui a paru entachée de « pragmatisme », dans le sens d’une doctrine où la vérité dépend, quant à son existence, de l’esprit.
Mais ce danger n’existe pas dans un « pragmatisme » ainsi entendu. À la définition, de caractère on pourrait dire géométrique que M. Russell donne de la vérité, — qui satisfait l’intelligence, mais n’offre aucune prise au contrôle de l’expérience, aucun guide à la volonté, — se trouve non pas opposé, mais ajouté, un moyen de reconnaître expérimentalement la vérité.
Et en poursuivant, dans le domaine de la connaissance que nous en pouvons avoir, la distinction entre ce qui existe (dans le temps) et ce qui subsiste (hors du temps) que M. Russell fournit, et qu’il estime capitale, nous n’introduisons pas néanmoins deux sortes de vérités, car la vérité des croyances qui se rapportent aux universaux est vérifiée de même par les conséquences (expériences) : seulement 1° un esprit très lucide et attentif peut les contempler sans avoir recours à l’expérience ; et 2° leur capacité d’être expérimentalement vérifiées est indéfinie.
Ce petit commentaire peut donc être ajouté à la doctrine de M. Russell, sans l’ébranler, et d’ailleurs éclaircir, ce semble, quelques obscurités. Il nous ramène aussi bien au Platonisme fondamental de la philosophie de M. Russell, faisant intervenir la distinction de l’Être et de l’existence, et l’application, suggérée par Socrate à Protagoras, son interlocuteur supposé, de la valeur des prévisions au discernement de la vérité.
Saint-Germain-lès-Corbeil. – Imp. Willaume.
