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G. BELOT. LA VALEUR MORALE DE LA SCIENCE. 435

concordisme qui se renouvelle suivant les exigences de chaque âge et de chaque milieu, la thèse de l’opposition entre la religion et la science. Ne pouvons-nous présumer qu’on soutiendrait aussi bien la thèse de l’immoralité de la science, et d’ailleurs cette thèse serait-elle si différente de la précédente ? Que dis-je, présumer ? Mais on ferait un livre, et qui serait gros, sur les attaques dont la pensée scientifique, sous ses divers aspects, a été l’objet au nom des intérêts bien ou mal compris de la morale et de la société. Le vautour divin n’a jamais cessé de ronger le foie immortel de Prométhée. Il n’est pas temps d’examiner ce que valent ces attaques contre la science et les cris triomphants de ceux qui en proclament la faillite. Nous n’avons pour le moment qu’à indiquer les raisons qui rendent un tel conflit possible et même naturel, et nous défendent de nous arrêter un instant à l’idée d’un accord immédiat et nécessaire. Quelque origine que l’on assigne à la science et plus généralement à la fonction intellectuelle, il est un fait difficile à contester: c’est qu’au cours de l’évolution humaine, comme toute autre fonction, elle a progressivement conquis son indépendance et qu’aujourd’hui, du moins chez les peuples et chez les esprits les plus développés, on peut affirmer sa complète autonomie. Ce n’est pas là un simple préjugé intellectualiste ; c’est un fait d’observation qu’il faut reconnaître indépendamment de toute théorie. Que l’on admette avec M. Bergson que le cerveau n’est pas primitivement un organe de représentation, mais un organe d’action, que sa fonction est tout d’abord pratique et n’est pas de nous fournir une sorte de doublure subjective de l’univers, mais de nous permettre de nous y « insérer », peu importe. Il est probable, en effet, que la connaissance ne peut commencer autrement que sous la forme d’une réaction élémentaire, en connexion étroite avec nos besoins, et que, du monde qui nous entoure, nous ne savons guère tout d’abord que la façon dont il faut nous comporter pour y durer ; et c’est là nous connaître nous-mêmes autant, ou plutôt aussi peu, que connaître les choses. Mais il n’est pas moins vrai que le développement de cette connaissance ne se produit pas autrement que dans le sens d’un désintéressement de plus en plus marqué, jusqu’au moment où il lui semble qu’elle n’a plus pour objet qu’une vérité indépendante de tout usage. Le philosophe que j’ai nommé ne montre-t-il pas lui-même que le progrès de la simple sensation consiste surtout dans une aptitude à saisir une sphère de plus en plus