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LIVRES NOUVEAUX

La Forme et le Mouvement. Essai de dynamique de la vie, par Georges Bohn, 1 vol. in-16 de XI-175 p., avec fig., Paris, E. Flammarion, 1921. — Le présent travail est surtout consacré à l’exposé d’idées personnelles de l’auteur, qui procèdent en partie des découvertes de Houssay. Au lieu d’envisager les êtres vivants comme des agrégats de composés chimiques, il convient aussi de les considérer comme des systèmes de forces et de mouvements. Dans l’interprétation des phénomènes biologiques, la physique peut et doit compléter la chimie, et il n’y a pas contradiction entre les deux points de vue. L’être vivant n’est pas seulement une « machine qui se reproduit », comme dit Lœb : il est essentiellement « un système oscillant, polarisé, vibrant ». Dès la fécondation de l’œuf vierge, on voit se former dans sa masse des systèmes vibrants qui se repoussent mutuellement, les « énergioles ». Chez une multitude d’Hydraires, de Cœlentérés et de Vers, les mouvements de translation du corps apparaissent comme la résultante de mouvements particulaires vibratoires, orientés dans une certaine direction, et se propageant sous forme d’ondes à travers les divers territoires organiques. Même polarisation des mouvements de croissance chez beaucoup de plantes. L’exemple du Crithmum maritimum, ombellifère commune, sur nos plages, est bien connu. Des groupes de feuilles et de folioles s’orientent toutes dans une même direction, comme le feraient des parcelles de fer dans un champ magnétique. Ces mouvements polarisés diffèrent des tropismes et ne paraissent pas explicables par la théorie de Lœb.

Un chapitre particulièrement intéressant a trait à la dynamique des plantes. De nombreuses observations et expériences, M. G. Bohn croit pouvoir dégager les faits généraux suivants : 1o un axe de croissance présente des nappes vibratoires inverses ; à ce système de symétrie alternante se substitue par endroits un système de tourbillons dilicoïdaux ; 2o il y a une succession de ventres et de nœuds ; les phénomènes de floraison chez les plantes et de scissiparité transversale chez les animaux seraient en relation avec ce fait ; 3o la croissance des plantes se fait par une série d’ondes ou de vagues successives ; 4o deux axes branchés l’un sur l’autre et ayant la même polarité se repoussent ; c’est ce mécanisme, notamment, qui intervient dans la formation des Hydres à deux têtes, obtenues expérimentalement par l’auteur ; 5o lorsqu’il y a exagération de la croissance dans un sens, ou bien lorsque le flux de croissance dévie d’un côté, il se produit soit un phénomène de dépolarisation, soit un phénomène de compensation ; l’équilibre de l’être ou de l’organe se rétablit ainsi. La « loi de dépolarisation » n’est qu’un cas particulier de la loi physique de l’action et de la réaction. En ce qui concerne les végétaux, on peut l’énoncer de la façon suivante : dès que la croissance s’exagère suivant une certaine direction, il se développe dans l’être vivant une force antagoniste qui s’oppose à cette croissance.

Ces idées auraient évidemment besoin d’être précisées ; les notions de ligne de force, de vibration, de polarisation ont en physique un sens bien défini. Étendues à la matière vivante, la netteté de leurs contours disparaît. M. G. Bohn est trop rompu à la discipline du laboratoire pour se contenter d’analogies superficielles. Néanmoins ses vues sont neuves, suggestives et d’une hardiesse séduisante.

Signalons donc cet essai comme une contribution originale à la philosophie biologique (chapitre de la morphogenèse), toutà fait digne de retenir l’attention.

De l’Utilité du Pragmatisme, par G. Sorel, 1 vol. in-16o, 471 p., Paris. Marcel Rivière, 1921. — M. Georges Sorel, qui, jadis, avait semblé se défendre d’être pragmatiste, en accepte aujourd’hui le nom : mais ce n’est pas la moindre difficulté de ce livre difficile que de comprendre ce qu’il entend exactement par là. Car, dans son premier chapitre, M. Sorel parle de W. James, selon sa manière habituelle, avec un grand dédain, lui reprochant « d’annexer à son école des savants européens qui doutent de la science », et la conception qu’il prend à son compte dans les chapitres suivants semble avoir la prétention de restituer à cette science toute sa valeur positive, ce qui lui permet de traiter assez mal, chemin faisant, soit M. Boutroux, soit Henri Poincaré, soit M. Le Roy, comme en dépréciant la portée. Pourtant, si la science a pour lui une valeur, c’est seulement en tant qu’elle sort de l’expérience, de la pratique, du métier ; elle s’est formée dans des milieux fermés de techniciens, d’abord parmi les tailleurs de pierres et les sculpteurs de l’antiquité grecque, puis dans cette moderne « cité savante », dont M. Sorel ne croit pouvoir nous faire saisir la contexture et l’esprit qu’en évoquant des groupements analogues du passé, tels que la « cité esthétique » du moyen âge qui a formé les constructeurs de cathédrales. Mais, dès lors, où la science rencontre-t-elle sa vérité ? Uniquement dans la nature artificielle de nos labora-